Icône du cinéma, Monica Bellucci s’est momentanément absentée de l’écran pour monter sur scène et incarner la star des cantatrices dans Maria Callas, Lettres et Mémoires. Une évocation transcendante à retrouver au Théâtre du Châtelet les 14 et 15 novembre prochains.
Pourquoi avez-vous accepté de dire sur scène les mots de La Callas ?
Je n’étais encore jamais montée sur scène, et quand Tom Volf est arrivé avec ce projet, une partie de moi a bien sûr eu très peur. Quand on fait du théâtre, le contact avec le public est complètement différent de ce qu’on vit au cinéma. Là, c’est un contact direct et on montre sans fard sa propre vulnérabilité. Et en même temps, il y a quelque chose d’artisanal et sincère dans le processus de faire un spectacle ; c’est passionnant. Par ailleurs, il y avait dans les lettres de Maria Callas quelque chose de tellement profond et rempli d’émotion… J’ai eu comme l’impression que je pouvais entrer dans l’intimité de cette grande artiste, et je n’ai pas pu résister. Voilà! Même si quelque part, je me suis fait violence.
Et à un moment, la question de chanter vous-même s’est-elle posée ?
Ah non ! Ça m’est arrivé une fois pour un film, mais chanter pour chanter, non. Surtout La Callas.
Avant ces dates au Châtelet, le spectacle, créé au Théâtre Marigny, a tourné à travers le monde…
Oui, on l’a même proposé en trois langues. Mais c’est merveilleux, parce que c’était totalement imprévu. Déjà pour moi, le théâtre Marigny c’était quelque chose d’énorme. Et puis le spectacle a pris une ampleur inattendue, alors qu’au début, il se jouait sans orchestre, de façon très intimiste.
Quel a été l’apport de l’orchestre?
On avait une mise en scène très épurée, très intéressante aussi, avec l’authentique robe de Maria Callas, le canapé, le gramophone… Le côté simple de la mise en scène de Tom Volf avait du caractère. Mais quand l’orchestre est arrivé, pour moi c’était aussi intense de jouer avec lui. C’est la musique vivante qui t’entre dans les veines, et d’un coup, il y a la voix de La Callas qui arrive, au milieu de la musique, tu as l’impression qu’elle va apparaître sur scène. C’est réellement très fort comme sensation.
Vous portez la vraie robe de La Callas sur scène?
Oui, on a deux robes qu’un atelier de Milan nous a confiées. Rien que porter les robes de Maria Callas, ça aide beaucoup à entrer dans la peau de cette artiste merveilleuse. C’était une des plus grandes sopranos de tous les temps, sa voix et ses airs les plus connus sont encore très populaires aujourd’hui. C’est une femme qui a tellement inspiré les gens… Et on ne parle pas seulement de la grande artiste qu’elle était, mais aussi de la personne elle-même, qui a eu le courage de suivre ses passions, qui a lutté pour sa liberté – à une époque où le divorce n’était pas permis en Italie – et pour suivre le chemin qu’elle voulait. C’est aussi une femme imprévisible, parce qu’elle a sacrifié sa jeunesse à son travail, et lorsqu’elle a rencontré Aristote Onassis, là, à travers lui, elle a découvert sa féminité, et elle a voulu la vivre pleinement. Ce n’est pas une victime, comme beaucoup de gens le pensent, c’est une femme qui a décidé de son destin, et qui a pris beaucoup de risques. Elle savait ce qu’impliquait sa relation avec quelqu’un comme Onassis. Mais en même temps, le plus grand drame de sa vie, ce n’est pas ce qu’elle a traversé avec lui, c’est qu’elle n’a pas eu d’enfant, et pas eu de famille. Elle a souvent parlé de sa jeunesse très triste et de toutes les difficultés relationnelles qu’elle avait avec sa mère et sa sœur. Cette femme portait en elle une grande douleur de l’enfance qui l’a accompagnée tout au long de son existence.
Et qui a fini par l’emporter…
Oui, mais peut-être aussi qu’elle a utilisé son talent pour s’envoler, pour fuir cette enfance très très triste. En tout cas, c’est quelqu’un dont le parcours parle encore aux femmes d’aujourd’hui. Quand je lis ses lettres ou ses mémoires, je ne peux pas ne pas être touchée par sa profondeur et sa sensibilité, tout en ressentant une certaine dureté, même vis-à-vis d’elle-même. La vérité, c’est qu’elle n’acceptait pas le compromis. Elle était totalement dévouée à son art. Mais ce que l’on porte ici sur scène, ce n’est pas La Callas, c’est Maria. On part de ses jeunes années pleines d’espoir, de sa relation avec sa maîtresse de chant, de son envie d’avoir du succès, puis l’heure de la maturité où elle lutte entre sa vie privée et sa vie publique et enfin, les dernières années de sa vie où on sent qu’elle gère toute sa mélancolie et son désespoir avec beaucoup de dignité et d’élégance. Ce qui m’a vraiment importé dans ce spectacle, c’est la dualité de ce personnage. D’un côté, la grande diva, la star qui fait rêver tout le monde, une espèce de voix divine et une figure qui impose le respect. De l’autre, une femme avec un cœur simple, qui est morte de tristesse. Elle était terriblement touchante et je suis très honorée d’avoir pu entrer dans l’âme de cette femme incroyable.
Quels sont vos points communs avec elle ? Peut-être cette starification et la difficulté d’être en permanence dans la lumière ?
Maria Callas a fait un choix assez violent entre sa vie et sa carrière. L’opéra est un monde assez particulier, mais ce qu’elle dégageait, de par sa personnalité, a fait qu’elle est devenue une femme publique. Les gens allaient entendre La Callas, mais aussi voir La Callas. Son aura sortait du monde de l’opéra, ce qui lui a coûté beaucoup, notamment sa liberté. Pour répondre à la question, je crois qu’aujourd’hui, on vit cela différemment. Il y a tellement de manières de faire de l’image que n’importe qui peut devenir célèbre en dix minutes. Tu postes une vidéo sur Instagram et voilà! Les réseaux sociaux ont réactualisé la notoriété.
On devient connu, mais pas une star, comme elle ou vous…
Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il n’y a plus cette notion de star. Moi, en ce qui me concerne, je fais mon métier. C’est un métier particulier qui implique un contact avec le public, mais j’adore aussi aller chercher mes enfants à l’école ou aller faire mes courses. Si on perd le contact avec la vraie vie, on est mort. Qui peut vivre comme ça ? Il faut toujours faire la différence entre la personne et l’image.
Si la personne devient l’image, c’est un peu compliqué à vivre, non ?
Pas facile à dire, il faut être confronté au problème… (Rires) En tout cas, je pense que Tom Volf a surtout pensé à moi pour mon côté méditerranéen. La Callas est née à New York, elle est partie en Grèce, sa carrière a explosé en Italie et puis elle est venue vivre à Paris. C’est un peu comme si elle était une étrangère partout où elle allait. Je pense que j’ai un lien avec ça, la non-appartenance. Je suis italienne, mais je vis en France. C’est comme si tu n’appartenais à rien, même si cela donne dans le même temps, une certaine liberté. Il y a un côté «déraciné». C’est un beau mot. Quand je suis partie d’Italie, je sentais que c’était ce qu’il y avait à faire. Je suis un peu comme une gitane. Je m’imprègne de la culture de l’endroit où je suis, mais je reste liée au pays d’où je viens.
Jouer au Théâtre du Châtelet vous impressionne?
C’est énorme ! Je suis tellement honorée de pouvoir jouer au Châtelet. Ça va être très beau, inoubliable, si j’arrive à transmettre toutes les émotions que je ressens. J’espère avoir une forte connexion avec le public, pour achever cette magnifique aventure qui a duré plus de deux ans.
Et sinon, êtes-vous vous-même amatrice d’opéra?
Je suis italienne et l’opéra fait un peu partie de notre culture, mais mon contact avec La Callas a commencé avec une série américaine qui s’appelle Mozart in the Jungle, avec Gael García Bernal. Je devais jouer une chanteuse d’opéra. Du coup, pour me préparer, j’ai commencé à écouter des chanteuses comme Montserrat Caballé, Anna Netrebko et Maria Callas. C’était en 2017 et jamais je n’aurais pensé que plus tard, Callas allait s’imposer à nouveau à moi. D’autant que là, il ne s’agit pas que de la posture et de la manière d’être sur les planches. C’était vraiment entrer dans la partie la plus intime et la plus cachée du personnage.
Et en tant que spectatrice, est-ce que vous allez souvent à l’opéra?
Souvent, non, mais j’y suis allée. Je me souviens de Tosca à Rome, et c’était magnifique. Rome est vraiment l’endroit où voir Tosca.
Vous aimeriez jouer dans un opéra?
On me l’a déjà demandé et on m’a fait des propositions très intéressantes, mais la vérité, c’est que cette tournée m’a pris beaucoup d’énergie, et je pense pour le moment revenir un peu au cinéma.
Si vous fermez les yeux, là, quel air de Maria Callas entendez-vous ?
La Habanera de Carmen, quand elle l’a chantée à Hambourg. C’est magnifique. C’est un moment très particulier, parce qu’on sent qu’elle est forte et féminine à la fois. À cette époque, elle était avec Onassis, et c’est l’être, la passion, qui l’emportent sur l’artiste. Cela me touche énormément.
Propos recueillis par FABIEN MENGUY
A VOIR :
Maria Callas, Lettres et Mémoires, avec Monica Bellucci,
Textes et mise en scène de Tom Volf, Orchestre Lamoureux.
Les 14 et 15 novembre 2022 au Théâtre du Châtelet.