Belvedere di Villa Rufolo, 24 août
Le charme du Festival de Ravello tient autant à sa programmation éclectique qu’au cadre féerique où il se déroule : le Belvédère de la Villa Rufolo, une terrasse suspendue entre ciel et mer, offrant au public une vue vertigineuse sur la côte amalfitaine. On est au cœur de ces jardins enchantés qui inspirèrent à Wagner, lors de son séjour en 1880, le décor du domaine mystique de Klingsor dans Parsifal. C’est justement du temple wagnérien de Bayreuth que Michael Spyres revient tout droit, auréolé de son triomphe en Walther des Meistersinger et Siegmund dans Die Walküre, pour retrouver ici un tout autre univers : le répertoire baroque italien, déjà exploré dans son album « Contra-Tenor » (2023), véritable manifeste de son art caméléon qui brouille les frontières traditionnelles de la voix de ténor.
Le récital reprend huit des dix airs italiens de l’album, avec la même équipe artistique : l’ensemble Il Pomo d’Oro, ici en formation de chambre – deux violons, alto, violoncelle, contrebasse et théorbe – mené du clavecin par un Francesco Corti sobre et rigoureux. Un programme ponctué de quelques pièces instrumentales : le Concerto RV 156 de Vivaldi, tout en nuances sensibles ; le troisième Concerto a quattro de Galuppi, magnifié par le jeu expressif du premier violon Nicholas Robinson ; et le Concerto grosso op. 2/1 de Sammartini, exemplaire de précision et d’élégance.
Dès les premières notes, Michael Spyres impose la santé rayonnante de son instrument. La légère sonorisation, savamment dosée, se contente d’élargir le son dans ce grand espace en plein air sans jamais trahir les couleurs. Si le ténor confirme la maîtrise souveraine de l’enregistrement studio, il impressionne, au contact du public, par sa vitalité et son naturel confondant. Les airs s’enchaînent dans un crescendo irrésistible d’énergie, comme un feu d’artifice vocal.
Du Tamerlano de Haendel (« Empio, per farti guerra »), abordé avec une autorité martiale, à peine voilée par une pointe de raideur, à l’Artabano de Vivaldi (« Cada pur sul capo audace »), traversé d’une colère finement nuancée, chaque morceau devient une scène dramatique à part entière. Les vocalises périlleuses d’Alessandro (« Vil trofeo d’un alma imbelle », Galuppi), les descentes abyssales de Siroe (« Se il mio paterno amore », Latilla), les écarts vertigineux de tessiture chez Hasse (« Solcar pensa un mar sicuro ») ou Mazzoni (« Tu m’involasti un regno »), tout l’arsenal du virtuose est là, mais toujours au service de l’émotion et du sens dramatique. La diction est d’une qualité impeccable, la ligne vocale d’un galbe souverain. Dans l’extrait saisissant du Germanico in Germania de Porpora (« Nocchier, che mai non vide »), sommet de la soirée, comme dans le rare « Fra l’ombre un lampo solo » de Sarro, on est bouleversés par la progression émotionnelle au fil des reprises variées.
Mais ce qui frappe autant que la virtuosité et la force expressive, c’est la jubilation communicative de Spyres. Loin de toute démonstration froide, il aborde ce tour de force vocal avec un humour palpable, une joie presque ludique. Un seul bis, extrait de Theodora de Haendel (« Dread the fruits of Christian folly »), vient clore ce concert, qu’on ne peut quitter sans se demander où se situe la frontière entre l’art et le talent dans une voix qui ne montre aucun effort. Répondre, ce serait comme vouloir séparer ciel et mer dans la nuit magique de Ravello.
PAOLO PIRO
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