Mercadante : Il proscritto

2 CD Opera Rara ORC 62

Dans l’histoire de l’opéra romantique italien, Saverio Mercadante (1795-1870) n’a généralement droit qu’à la pénombre. Quelques représentations, ainsi que plusieurs enregistrements (Il giuramento, La vestale, Orazi e Curiazi, Pelagio, Virginia…), nous ont pourtant confirmé son importance.

À cette liste, il faudra désormais ajouter Il proscritto qui, depuis sa création, au Teatro San Carlo de Naples, le 4 janvier 1842, n’avait jamais refait surface. Dans le livret d’accompagnement, Teresa Poggioli et Roger Parker soulignent les nombreux mérites de ce « melodramma tragico », en proposant quelques pistes pour mieux comprendre les raisons de son échec, puis de son oubli.

Comme souvent à l’époque, le livret de Salvatore Cammarano est l’adaptation d’un drame français de Frédéric Soulié et Timothée Dehay, Le Proscrit, créé à Paris, en 1839. Pour des raisons de censure, l’action est désormais située en Écosse, au XVIIe siècle, et repose sur quatre principaux personnages : Malvina Douglas ; Odoardo Douglas, son frère ; Arturo Murray, qu’elle s’apprête à épouser ; et Giorgio Argyll, son premier mari, que tous croient disparu en mer. Le tout sur fond de violentes tensions entre royalistes, fidèles à Charles Ier, et partisans de Cromwell.

La distribution de la création réunit, pour ces quatre rôles, deux ténors (Giorgio et Arturo), une soprano que l’on rangerait plutôt, aujourd’hui, dans les mezzo-sopranos (Malvina) et une contralto en travesti (Odoardo). Gaetano Fraschini, Giovanni Basadonna, Antonietta Ranieri Marini et Eloisa Buccini sont alors des interprètes reconnus, voire célèbres.

On reproche à Mercadante, comme à tous les novateurs, de négliger les règles traditionnelles du bel canto italien, en accordant trop d’importance à l’orchestre. Airs séparés, cabalettes, duos et ensembles (à la fin des deux premiers actes, en particulier) sont pourtant présents, réussissant fort bien à traduire l’avancée du drame, jusqu’à la mort de Malvina, sous les yeux des deux hommes qu’elle a successivement aimés.

Carlo Rizzi apporte sa marque à la réussite de cette intégrale, réalisée en studio, en juin 2022, d’après l’édition critique de Roger Parker et Ian Schofield. Bon connaisseur de ce répertoire, le chef italien sait, avec autant de science que de goût, donner une dynamique constante à cette intrigue, somme toute, assez traditionnelle. Les personnages sont excellemment mis en valeur, et les scènes s’enchaînent avec une intensité qui ne faiblit pas.

L’enregistrement bénéficie d’une équipe de chanteurs souvent très proches par la couleur du timbre, ce qui nous vaut de remarquables duos entre Giorgio et Arturo, ou Malvina et Odoardo. Le Mexicain Ramon Vargas incarne le premier avec une dignité vocale et une ardeur intactes, après quarante années de carrière. Face à lui, en Arturo, le Péruvien Ivan Ayon-Rivas, lauréat du Concours « Operalia », en 2021, est une révélation. Dans son chant délié, inventif, porteur de lumière, on reconnaît l’empreinte de ses maîtres, Juan Diego Florez et Luigi Alva.

L’Américaine Irene Roberts laisse parfaitement transparaître l’énergie et le trouble propres à Malvina, dont elle trace un portrait attachant. Quant à sa compatriote Elizabeth DeShong, elle prête à Odoardo un timbre raffiné, aux belles couleurs cuivrées. Son air « Ahi ! del giorno sanguinoso », au II, est l’un des temps forts du disque.

Les autres membres de la distribution ont moins l’occasion de briller mais, bien accompagnés par Carlo Rizzi et le Britten Sinfonia, ils apportent leur pierre à la redécouverte d’une œuvre, qui ne méritait certainement pas l’oubli dont elle a été victime.

Verrons-nous demain Il proscritto à l’affiche d’un théâtre, aux côtés d’I puritani et de Lucia di Lammermoor, dont il n’est guère éloigné ?

PIERRE CADARS

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