Opéras L’opera seria à Milan
Opéras

L’opera seria à Milan

08/04/2025
© Teatro alla Scala/Brescia e Amisano

Teatro alla Scala, 29 mars

Même si Vienne puis Martina Franca ont accueilli récemment la résurrection de ses Uccellatori, Florian Leopold Gassmann (1729-1774), auteur d’une vingtaine d’opéras, reste largement oublié aujourd’hui. Même son ouvrage le moins inconnu, L’opera seria, créé à Vienne en 1769, n’a été évoqué qu’à trois reprises en ces pages : René Jacobs et -Jean-Louis Martinoty à Schwetzingen en 1994 (avec reprises à Innsbruck, Berlin et Paris), Raphaël Pichon et Benoît Bénichou dans une production du New European Opera à Nantes et Fontevraud en 2010, puis à nouveau Jacobs, cette fois avec Patrick Kinmonth, à Bruxelles en 2016.

L’œuvre, pourtant, ne manque pas d’atouts. Dans la veine de quelques autres de ces –metamelodramma – mises en abyme comiques où l’opéra se moque de l’opéra, depuis Il -teatro alla moda de Benedetto Marcello jusqu’au prologue de Ariadne auf Naxos de Strauss –, L’opera seria est assurément un des plus aboutis. Par son sens de l’observation des mœurs lyriques (Ranieri de’ Calzabigi, librettiste notamment de l’Orfeo ed Euridice et de l’Alceste de Gluck, les connaissait de l’intérieur), par sa construction en gradation (arrivée et présentation des chanteurs à l’acte I, répétitions au II et finalement représentation, puis échec de l’opéra Oranzebe au III), et même aussi par les patronymes des personnages : l’imprésario Faillite, le poète Délire, le compositeur Soupir, le castrat Ritournelle ou les sopranos Détonante et Mijaurée. 

Pour la création de l’œuvre à Milan, Christophe Rousset a réuni une quarantaine de musiciens, avec un tiers de fidèles des Talens Lyriques et deux de l’orchestre d’instruments anciens de la Scala. Après quelques très légers troubles dans l’Ouverture, la soirée est menée tambour battant, sans trop d’insistance sur les effets comiques dont Gassmann saupoudre sa partition, mais avec une capacité constante à maintenir la joyeuse folie, et même à la faire croître jusqu’au pinacle final. Même sobriété intelligente et raffinée dans la mise en scène de Laurent Pelly. Loin de forcer les gags, et sans jouer la carte tentante d’une transposition dans la vulgarité colorée du monde d’aujourd’hui, le metteur en scène s’astreint à respecter le cadre du XVIIIe tant dans les costumes qu’il signe (d’une grande beauté, et avec des coiffures joliment délirantes) que dans les décors élégants de Massimo Troncanetti : plateau incliné, plancher de bois cérusé, trois murs et neuf portes qui se baladent parfois de façon autonome en l’air, y croisant d’étonnantes sphères noires. Le résultat paraîtrait presque trop sage au premier acte mais, peu à peu, ce dosage minimaliste se révèle adéquat quand tous les décors de la représentation d’Oranzebe s’écroulent les uns après les autres au final. On ne rit pas toujours, mais on sourit de bon cœur. Et, vertu inattendue, les moments où Calzabigi et Gassmann s’amusent à caricaturer les pages de grâce peuvent même être appréciés au premier degré, simplement beaux. 

En Stonatrilla, Julie Fuchs éblouit par l’aisance de ses coloratures, la qualité de son intonation et la netteté de sa projection. Moins dotées par la partition, mais non moins talentueuses, ses rivales Andrea Carroll et Serena Gamberoni sont également dignes d’éloges. Après s’être trouvé un peu en difficulté au premier acte (le rôle requiert alors une très grande souplesse dans le suraigu), Josh Lovell prend plein contrôle du personnage de Ritornello. Et si le Fallito de Pietro Spagnoli séduit plus par son abattage d’acteur que par sa performance vocale, les créateurs Delirio (Mattia Olivieri), Sospiro (Giovanni Sala) et Passagallo (Alessio Arduini) sont excellents. 

Joie enfin que de voir les trois très brefs rôles de mères (des chanteuses) distribués aussi luxueusement avec le ténor Alberto Allegrezza et les contreténors Lawrence Zazzo et Filippo Mineccia. Quelques danseurs complètent le plateau, assurant les effets comiques de groupes, dans lesquels Pelly excelle et qu’il confie d’ordinaire aux chœurs.

NICOLAS BLANMONT

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