Théâtre des Champs-Élysées, 18 juin
Avec cette Italiana in Algeri en concert, Julien Chauvin, qui débute dans ce répertoire, montre de réelles qualités rossiniennes : après une Ouverture enlevée avec élégance et vivacité, on admire notamment la parfaite mise en place, y compris dans les périlleux finales, et la maîtrise du fameux crescendo – même s’il pourrait aller plus loin dans le fortissimo. Les instruments d’époque du Concert de la Loge, aux sonorités rafraîchissantes, montrent une virtuosité suffisante, même si le cor naturel est prudent dans « Languir per una bella » et si, dans « Per lui che adoro », le traverso, de si jolie couleur, sonne un peu timide.
Mais la soirée prend une autre dimension à l’arrivée de Marie-Nicole Lemieux en Isabella, rôle abordé à Nancy en 2012 et déjà donné en concert au TCE en 2014. Dans pas moins de trois robes successives, elle sait jouer de son physique plantureux, comme de chaque mot et note du rôle. Sa mimique sur « Oh! Che muso » est impayable, tout comme sa façon de ponctuer les notes piquées de ce duo par des coups de poitrine conquérants. La ligne caressante du « Per lui che adoro » flatte cet instrument capiteux, au grave voluptueux. L’incarnation, irrésistible d’abattage et de drôlerie, fait oublier des notes de passage plus faibles dans le médium, des vocalises parfois imprécises ou glissées, dans « Cruda sorte » et plus encore dans « Amici, in ogni evento », ainsi que quelques aigus d’une ampleur disproportionnée, voire à limite du cri, en particulier le contre-ut interpolé à la fin de ce dernier air.
Cette tornade entraîne dans son sillage ses prétendants galvanisés, à commencer par Nahuel Di Pierro, dont la voix longue mais assez claire, et sans dans le grave le creux attendu, surprend d’abord pour Mustafà. Mais le cantabile, la virtuosité et l’ambitus sont assumés avec superbe, et l’acteur est formidable. Il pâtit cependant un peu pour la présence vocale – mais pas théâtrale – du voisinage avec l’imposant baryton-basse de Mikhail Timoshenko en Taddeo. Entre deux Barbiere à Bastille, Levy Sekgapane est un excellent Lindoro, d’une impressionnante aisance pour la colorature et le suraigu. Troisième voix grave, Alejandro Baliñas Vieites est un Haly très bien chantant, aux côtés de l’Elvira sûre mais un peu effacée de Manon Lamaison – remplaçant en dernière minute Julie Roset – et de l’impayable Zulma d’Eléonore Pancrazi, au mezzo nerveux. Une soirée réjouissante.
THIERRY GUYENNE