Palais Garnier, 28 mars
On avait dit, lors de sa création au Festival d’Aix-en-Provence (voir O. M. n° 185 p. 23 de septembre 2022), tout le bien qu’on pensait de ce nouvel opus de Pascal Dusapin, qui constitue sa neuvième œuvre lyrique, après, entre autres, Perelà, uomo di fumo, Penthesilea, d’après Kleist, et Macbeth Underworld, d’après Shakespeare. Le revoir presque trois ans plus tard à Paris permet de confirmer cette impression. Car on est fasciné par l’ampleur et la diversité de cette musique qui s’affranchit de tous les codes, explore tous les registres et n’appartient qu’à elle-même. Aussi, on reste ébloui par la qualité littéraire du livret qui parvient à réduire ce monument qu’est La Divine Comédie à seulement six personnages et à un spectacle de moins de deux heures.
On ne dira jamais assez de bien de la mise en scène de Claus Guth qui parvient à donner corps à cette pièce abstraite, flirtant parfois avec le formalisme, et qui s’apparente davantage à un oratorio qu’à un opéra (en plaisantant, Dusapin avait parlé « d’opératorio »). Le paradoxe est d’ailleurs qu’elle superpose une histoire – pas prévue par le livret –, celle de cet homme victime d’un accident de voiture qui, entre la vie et la mort, revoit la recherche de son amour perdu, qui se termine tragiquement, alors que la fin d’Il viaggio, Dante est heureuse, sans que cela n’entre en contradiction, mais au contraire en donnant une autre dimension au spectacle, en permettant qu’il échappe au statisme.
Par rapport à Aix-en-Provence, la distribution a un peu changé. On retrouve certes la belle et lyrique Béatrice de Jennifer France, le Giovane Dante de Christel Loetszch (qui a aussi servi de guide au compositeur pour les inflexions de la langue toscane), au mezzo d’une étonnante étendue, même s’il est parfois couvert par l’orchestre, et le toujours incroyable Dominique Visse, auteur d’une composition spectaculaire dans la « Voix des damnés ». Evan Hugues a cédé la place à David Leigh dans le rôle de Virgilio sans qu’on y perde au change, Maria Carla Pino Cury à Danae Kontora dans celui de Lucia avec des aigus non moins étincelants, Giacomo Prestia à Giovanni Battista Parodi, sans que le personnage du narrateur-Monsieur Loyal soit moins flamboyant et moins ironique. Mais c’est surtout Bo Skovhus qui succède à Jean-Sébastien Bou dans le rôle de Dante : la voix du célèbre baryton n’est plus tout à fait ce qu’elle était, mais il porte en lui une douleur et une mélancolie qui rendent le rôle d’autant plus émouvant. Kent Nagano, enfin, dirige l’Orchestre et le Chœur, invisible, de l’Opéra avec la précision et la rigueur qu’on lui connaît.
PATRICK SCEMAMA