Dès son premier enregistrement (une intégrale des transcriptions wagnériennes de Liszt), Tanguy de Williencourt a manifesté un amour de l’opéra qui l’amène à occuper depuis peu le poste de chef de chant à l’Opéra de Paris. Il n’a toutefois aucunement renoncé à ses activités de soliste, comme en témoigne la récente sortie d’un très bel album dédié à César Franck.
Comment l’opéra est-il entré dans votre univers musical ?
Très tôt ; j’avais huit ou neuf ans quand mon père m’a offert les cassettes VHS de Carmen avec Julia Migenes, du Don Giovanni de Losey, de La traviata. J’ai été immédiatement séduit et je ne me suis pas fait prier par la suite quand on m’a amené voir des spectacles à l’Opéra. Mes goûts se situaient alors plutôt du côté de Mozart et de l’opéra italien. La découverte de Wagner est intervenue plus tard, à la fin de mon adolescence lorsque j’ai eu la chance d’aller à Bayreuth.
Au Conservatoire de Paris, parallèlement au piano et à la musique de chambre, vous avez très tôt manifesté votre intérêt pour l’accompagnement et la direction de chant. Deux disciplines bien distinctes…
S’agissant du piano, Roger Muraro, mon professeur, insistait énormément sur la dimension lyrique du jeu, ce qui n’a fait qu’exacerber mon goût pour le chant. J’ai travaillé le lied et la mélodie avec Anne Le Bozec et la direction de chant avec Erika Guiomar. Deux classes très complémentaires, mais qui recouvrent des domaines bien différents. La mélodie et le lied présentent une dimension chambriste ; il s’agit d’un travail en duo. En direction de chant, le sujet est l’opéra ; on joue exclusivement des réductions d’orchestre. Le coaching du chanteur est essentiel ; on apprend à le guider dans le travail de son rôle : justesse, intonation, prononciation, diction, psychologie du personnage. Le métier de chef de chant est extrêmement complexe, il exige de savoir très bien jouer du piano, d’être capable de transposer, de parfois réduire à vue la partie d’orchestre si on ne dispose d’aucun arrangement, de pouvoir aborder des langues différentes et de gérer au mieux une séance de travail avec un chanteur. Autant dire que l’aspect humain occupe une place centrale.
Le travail comme chef de chant rejaillit-il sur votre jeu en tant que soliste ?
Complètement. Au moment où je vous parle, je travaille le Concerto pour piano en la mineur de Schumann parallèlement à Tosca. Guère de correspondances entre les deux ouvrages a priori ; pourtant je sens que la perception orchestrale du clavier en ressort accrue. Travailler sur de l’opéra apprend à hiérarchiser les plans sonores au clavier. De plus, la fréquentation des partitions orchestrales procure une vision globale de la musique – sur le plan des carrures, de l’architecture – qui m’aide et m’enrichit beaucoup dans l’approche de la musique pour piano. Je m’en suis rendu compte en travaillant la musique de Franck ; des œuvres de longue haleine, avec des structures très puissantes.
César Franck, que vous venez d’enregistrer en réunissant dans le même programme – chose plutôt originale – des œuvres concertantes et d’autres pour piano solo…
J’ai voulu rassembler ce que la production pour piano de Franck compte de meilleur — des pièces inscrites dans la dernière décennie de sa vie — au piano solo : Prélude, choral et fugue et Prélude, aria et final ; et avec orchestre : Les Djinns et Les Variations symphoniques. Après des pièces de jeunesse d’un intérêt relatif, le compositeur est revenu au piano pour livrer de purs chefs-d’œuvre. J’ai eu le bonheur d’enregistrer avec un orchestre belge, l’Orchestre symphonique des Flandres, remarquablement mené par Kristiina Poska.
Si vous ne deviez retenir qu’un seul grand choc d’opéra, quel serait-il ?
Il y en a eu beaucoup mais, pour répondre à votre question, ce serait d’avoir eu la chance d’écouter pour la première fois dans son intégralité Tristan et Isolde à Bayreuth à vingt ans. Inoubliable…
Vous voilà donc désormais chef de chant à l’Opéra de Paris. Comment vous est venue l’idée de tenter le concours, redoutablement difficile, pour ce poste ?
C’était un peu comme une expérience annexe. Hormis une Flûte enchantée au Festival d’Aix-en-Provence aux côtés de Raphaël Pichon il y a quelques années, j’avais plutôt délaissé la direction de chant depuis un moment. Le programme m’attirait vraiment ; il s’agit d’un concours très particulier (rien à voir avec un concours de piano traditionnel !), multifacette ; on est amené à chanter des répliques tout en jouant sous la direction du chef, à faire du coaching, à déchiffrer, etc. J’y ai pris un énorme plaisir ! Gustavo Dudamel était présent à la finale et c’est désormais une fierté que d’apporter ma contribution au fonctionnement de cette maison.
Propos recueillis par ALAIN COCHARD
A écouter :
César Franck : œuvres pour piano et orchestre (MIRARE)