Théâtre des Champs-Élysées, 3 février

Les lieux communs ont la vie longue. Ainsi l’assertion du chef Hans von Bülow, qui tenait le Requiem de Verdi pour un « opéra en habits d’église », et l’affirmation ordinaire selon laquelle, pour obtenir une bonne exécution de l’œuvre, il faut – et il suffit – de réunir les voix d’Aida, de Radamès, d’Amneris et de Philippe II. Le concert offert par l’Orchestre National de France, sous la baguette de Daniele Gatti, leur inflige un cinglant démenti.

Le Chœur de Radio France, préparé par Alessandro Di Stefano, et le Chœur de l’Armée française, que dirige Aurore Tillac, témoignent, malgré le masque, d’une totale intelligibilité. Ils alternent accents dramatiques (les diverses affirmations du Dies irae) et dentelles aériennes (la fugue du Sanctus).

Eleonora Buratto a la projection et l’homogénéité qui lui permettent de planer au-dessus des ensembles, comme de délivrer un Libera me d’une sincérité sans pathos exagéré et toujours respectueux de la ligne de chant. Dans la dernière section, la longue tenue de son contre-ut lumineux ne compromet pas la descente si difficile au do grave pianissimo, pour une phrase ultime indiquée et effectuée « morendo ».

De noir drapée, Marie-Nicole Lemieux, qui n’est pas une Amneris, fait une apparition sculpturale et allie les effets réussis d’un poitrinage efficace à l’indéniable émotion que l’aigu, resserré, rend pathétique dans Liber scriptus. Par l’ampleur de ses moyens et son style, Riccardo Zanellato impressionne dans les longues phrases de ses interventions.

Michael Spyres, sans avoir la voix du Requiem – sa conversion en « baryténor » n’a pas épargné le haut médium, sollicité par les emplois lyriques verdiens, dont il n’a pas la couleur –, aborde prudemment Ingemisco. Sa participation aux trios Quid sum miser et Lux aeterna rappelle sa réelle empathie avec l’œuvre et ses partenaires.

En familier d’un orchestre dont il fut le directeur musical, entre 2008 et 2016, et en grand serviteur du répertoire verdien, Daniele Gatti impose d’emblée un ton, un recueillement, une profondeur qui tiennent en haleine, pendant une heure vingt, les spectateurs d’un Théâtre des Champs-Élysées archi-comble. Cette sobriété rend plus fulgurant le drame du Dies irae, avec entrée et réponses des trompettes placées dans la salle aux secondes et aux premières loges, à cour et jardin, comme en un souvenir berliozien.

De part en part, Daniele Gatti mène l’Orchestre National de France en un chemin de lumière. L’émotion et la gratitude se donnent un libre cours qui triomphe des temps difficiles.

PATRICE HENRIOT


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