Cour du Château Louis XI, 30 août
Après Rigoletto mis en espace, après Die Zauberflöte munie d’images projetées, Béatrice et Bénédict nous fait revenir à la stricte version de concert, les interprètes se tenant immobiles devant leurs pupitres.
Faute de temps pour faire répéter les dialogues, faute, surtout, d’avoir un plateau entièrement francophone, capable de les dire avec naturel, il a été choisi, comme en 2013, sous la direction de François-Xavier Roth, de donner l’ouvrage avec un texte de liaison : celui écrit par Ronald Eyre, pour l’édition 1980 du Festival de Buxton, dans la traduction française de Geneviève Page, qui l’a elle-même enregistrée pour Daniel Barenboim, l’année suivante, chez Deutsche Grammophon.
Texte dit avec élégance, et sans microphone, par Éric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française, mais qui a tout d’un enfant monstrueux de Lélio, sublime musicalement, bancal dramatiquement. Presque toujours arrangé, dérangé, altéré, Béatrice et Bénédict n’est presque jamais représenté pour ce qu’il est : un « opéra-comique », tout simplement.
Le paradoxe veut que John Nelson soit le seul chef à avoir enregistré l’opéra avec l’intégralité des dialogues, certes dits par des comédiens (Erato, 1991). On le retrouve ici avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, en compagnie duquel il a gravé, ces dernières années, plusieurs disques marquants, toujours chez Erato, et qui s’entend idéalement avec lui.
Béatrice et Bénédict est le dernier ouvrage écrit par Berlioz, mais il y a dans cette partition une incroyable fantaisie que John Nelson a faite sienne, au fil des années. Il faut entendre et voir l’orchestre pour mesurer la manière dont l’énergie circule, dont les pupitres virevoltent, dont les timbres chatoient. Il surprend et ravit à chaque instant, l’ironie des vents le dispute à l’ampleur des mélodies confiées aux cordes, les ruptures de rythme et d’ambiance créent un climat toujours animé, toujours mobile, malgré la mélancolie de l’ensemble.
Si le Chœur Spirito et le Jeune Chœur Symphonique jouent la carte de l’allégresse, tout n’est pas idéal dans la distribution. Ainsi, Sasha Cooke a la voix de Béatrice, mais pas le tempérament. Pourtant annoncée souffrante, la mezzo américaine est parfaite musicalement dans les acrobaties rythmiques de son duo de l’acte I, puis dans les élans de son grand air du II, qui tend vers le lyrisme le plus exalté, mais le personnage n’est pas là.
Tout le contraire de Toby Spence : son Bénédict joue à merveille, mais son timbre paraît éteint et ses aigus difficiles. Il faut préciser, toutefois, que le ténor britannique revient de loin : un cancer de la thyroïde, diagnostiqué en 2011, a failli lui être fatal.
Vannina Santoni est très à l’aise en Héro, dont elle possède la lumière ; son duo avec l’Ursule de Beth Taylor est le moment suspendu qu’on attendait. Jérôme Boutillier est un Claudio de luxe, et Paul Gay, un Don Pedro tout à fait convaincant.
En revanche, le rôle de Somarone souffre, plus que les autres, de la conception de la soirée : sans être soutenue par aucun dialogue, sa première prestation est un moment appuyé, sans drôlerie ; Julien Véronèse y confond truculence et caricature. Sa chanson à boire du début du II, heureusement, se perd dans les accents joyeux du chœur et le bruit des bouteilles frappées par les musiciens de l’orchestre, lesquels donnent raison à Berlioz : « Tout corps sonore mis en œuvre par le compositeur est un instrument de musique. »
CHRISTIAN WASSELIN