Après une longue absence, Benjamin Millepied et sa compagnie L.A. Dance Project retrouvent les scènes parisiennes pour revisiter un «hit» shakespearien et présenter une création introspective.
Enfant, ce Girondin de naissance découvre la danse au Sénégal, mais c’est au Grand-Théâtre de Bordeaux qu’il prend ses premiers cours de danse classique, formation qu’il complétera au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Installé aux États-Unis en 1993, Benjamin Millepied est propulsé danseur principal du prestigieux New York City Ballet grâce, en partie, à son mentor Jerome Robbins. Rapidement, ses chorégraphies sont plébiscitées par des compagnies aussi prestigieuses que le ballet de l’Opéra de Lyon, le Staatsoper de Berlin ou l’American Ballet Theatre. Le ballet de l’Opéra national de Paris le sollicite à deux reprises avant de lui confier la direction de la danse. La mission est écourtée et le voilà reparti en Californie où il avait fondé, en 2012, le Los Angeles Dance Project – une compagnie qui compte, dans son répertoire, des pièces de Merce Cunningham, Martha Graham ou William Forsythe, et peut se targuer de collaborations avec les artistes Nico Muhly, Bryce Dessner ou Sterling Ruby.
Si la chorégraphie de Roméo et Juliette par Kenneth MacMillan interprétée par l’English National Ballet l’avait subjugué adolescent, l’artiste oppose plus tard une résistance farouche à cette œuvre « un peu trop vue ». Tandis que Preljocaj plonge les jeunes amants dans une Vérone futuriste née de l’imaginaire d’Enki Bilal, Baz Luhrmann, lui, filme Claire Danes et Leonardo DiCaprio à Verona Beach, en banlieue de L.A., sur fond de course de voitures et riffs de guitare. Mais comment faire résonner aujourd’hui cette tragédie amoureuse rendue populaire par Shakespeare à la fin du XVIe siècle ?
En réécoutant par hasard la partition de Prokofiev, Benjamin Millepied y décèle une certaine cinématographie l’incitant tout de go à figer sur pellicule l’emblématique scène du balcon. La préparation du court-métrage fait émerger l’idée d’un ballet. Dans son Roméo et Juliette Suite, le chorégraphe intègre de la vidéo – comme il le fait depuis 2004 – mais cette fois, ajoute-t-il, « les danseurs quittent le plateau pour investir l’ensemble du théâtre et laisser l’action se dérouler un peu partout. La caméra les suit de près et filme en direct des moments rares et même secrets que le spectateur n’a pas l’habitude de voir. On oscille entre une expérience conventionnelle de théâtre et un rapport intime quasi inédit aux danseurs ». Voilà pour la forme.
Sur le fond, l’homme de 45 ans, en phase avec son époque, refuse que l’amour soit réduit à un sentiment unissant un homme à une femme. « Je suis intimement convaincu que le spectacle doit transcender les genres et envisager toutes les combinaisons. La distribution des deux rôles principaux sera modifiée à chaque représentation pour refléter au mieux ce que nous voyons partout dans la société et que je constate au sein même de la compagnie. » La partition foisonnante de Prokofiev accompagne une succession de tableaux et met en exergue une gestuelle somme toute assez classique et une dramaturgie épurée. « Le défi a été d’imaginer une cohérence narrative avec les images et puis surtout, de chorégraphier la musique. Or j’aime juxtaposer des styles différents qui finissent toujours par se rencontrer. Entre deux passages très classiques, s’intercale une séquence moderne accompagnée d’une intervention très réaliste de la caméra. Les images ne seront pas envahissantes. Je laisse la place de choix à la musique. »
Le temps de démonter le décor de sa Vérone plantée à la Seine Musicale, Millepied et son L.A. Dance Project investiront le Théâtre du Châtelet pour y présenter deux programmes, dont la création mondiale de Be Here Now. Avec la complicité de l’artiste engagée Barbara Kruger et de deux compositeurs multi-
récompensés, Andy Akiho et Caroline Shaw, le chorégraphe se lance là dans un travail introspectif sur son rapport à son art en expliquant : « Je me suis rappelé pourquoi j’aimais la danse au départ… J’ai effectué un voyage autant en dehors qu’à l’intérieur de moi-même, et c’est ce que la danse devrait être. Danser, c’est être ici et maintenant ; autrement dit Be Here Now. » Le travail amorcé pendant les sombres mois de pandémie a permis de « donner l’impression de ne pas savoir ce qui allait suivre, comme si aucune réflexion n’avait existé en amont ». Be Here Now expose les danseurs pendant l’effort. Soixante minutes de battements de cœur, de souffle et de profession de foi.
OSCAR HELIANI
Retrouvez cet article dans le numéro 2 de Lyrik
À voir :
Roméo et Juliette Suite du 15 au 25 septembre à la Seine Musicale.
Be Here Now, du 13 au 16 octobre à Paris au Théâtre du Châtelet, en coréalisation avec le Théâtre de la Ville de Paris.