Opéra Royal, 29 avril
Pour la reprise de cette version de concert -d’Alcina donnée à Beaune l’été dernier (voir O. M. n° 205 p. 42 de septembre 2024), Stéphane Fuget a réuni une distribution largement renouvelée, à deux éléments près, la Morgana de Gwedoline Blondeel, au soprano cristallin toujours aussi séduisant, et le très étonnant Samuel Mariño, sopraniste à la couleur quasi « enfantine » en Oberto. Du côté des nouveaux venus, on apprécie le Ruggiero richement timbré de Gaëlle Arquez chez qui un rien de raideur vient sûrement de l’indisposition annoncée. Le naturel de Teresa Iervolino en Bradamante et son mezzo chaleureux, alliés à une virtuosité sans esbroufe, lui valent les premiers applaudissements à scène ouverte, après « E gelosia ». Enfin, Guilhem Worms incarne le sage Melisso de sa basse puissante mais bien peu nuancée, tandis que Philippe Talbot en est réduit à jouer les utilités dans le rôle peu développé d’Oronte, l’amoureux transi de Morgana. Ce petit ensemble se révèle particulièrement harmonieux dans le chœur de l’acte I.
La véritable attraction de la soirée reste pourtant l’Alcina de Lisette Oropesa qui, après ses succès parisiens dans I Puritani, fait figure de « guest-star » dans un répertoire qui ne lui est guère familier. Dans cet ensemble homogène, sa performance fait contraste. Certes, sa technique de vocalisation est impressionnante, mais le style en lui-même paraît tout à fait incongru, faisant disparaître la musique sous une débauche d’effets expressionnistes – ports de voix, rubato, trilles, sons détimbrés, graves appuyés, qui finissent par la dénaturer –, ce qui est particulièrement frappant dans le célèbre air « Ah! Mio cor, schernito sei!» qui conclut le deuxième acte, plus proche ici d’un belcanto romantique à la Beverly Sills que de Haendel. En outre, la voix de la soprano américaine reste encore celle d’un lyrique plutôt léger et, pour obtenir ces effets, le nécessaire forçage enlaidit quelque peu le timbre qui manque d’ampleur.
On retrouve dans la direction de Stéphane Puget les qualités vantées par notre collègue Thierry Guyenne : fluidité des enchaînements, raffinement des variations et des solos instrumentaux, progression dramatique captivante. Elles font de l’ensemble Les Épopées le protagoniste de l’opéra de Haendel, en créant l’élément dramaturgique nécessaire à faire vivre une opéra sans autre mise en scène que quelques mouvements scéniques improvisés par les chanteurs.
ALFRED CARON