Comptes rendus Werther de dames à Gand
Comptes rendus

Werther de dames à Gand

01/06/2021

Opera Vlaanderen/Operaballet.be, 7 mai

Dans son malheur, l’héroïne de Werther a de la chance. Sans doute parce que Massenet a écrit le rôle d’une telle manière que tous les types de voix, ou presque, peuvent s’y glisser avec aisance, du contralto au mezzo aigu, voire au soprano. C’est donc sans surprise que les Charlotte mémorables se succèdent, quand les Dalila se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main.

Canadienne francophone comme Marie-Nicole Lemieux, Rihab Chaieb s’y confronte au même moment qu’elle, l’une à Montpellier (voir plus loin), l’autre à Gand, pour une version de concert filmée à huis clos, puis retransmise sur le site de l’Opera Vlaanderen. Avec un résultat tout aussi exceptionnel.

Naturellement mezzo, avec une chaleur et une vibration dans le timbre rappelant la très regrettée Tatiana Troyanos, Rihab Chaieb chante sans effort, ni dans le grave, opulent, ni dans le médium, d’une rondeur séduisante, ni dans l’aigu, franc et puissant. Sa Charlotte, à l’émission idéalement homogène, coule de source, y compris sur le plan de la caractérisation, d’un naturel absolu, soutenue par une diction irréprochable.

Tous les espoirs soulevés lors du Concours « Operalia » 2018, au moment où Opéra Magazine lui avait consacré sa rubrique « Jeune Talent », sont tenus (voir O. M. n° 143 p. 73 d’octobre & n° 145 p. 19 de décembre). Promise à l’époque à un bel avenir, Rihab Chaieb peut désormais prétendre à une grande carrière internationale.

Pour son premier Werther, Enea Scala n’évolue pas sur les mêmes cimes. Le français est excellent, pourtant, et le chant plein d’ardeur. Mais le personnage ne saurait se résumer à pareille démonstration d’énergie et de tension. Comme dans les extraits d’Elisabetta, regina d’Inghilterra et de La favorita, à Bruxelles, il y a deux mois (voir O. M. n° 172 pp. 61-62 de mai 2021), le ténor italien force en permanence, au risque de se fatiguer.

Constamment sous pression, l’aigu se transforme en cri dès « J’aurais sur ma poitrine ». Quelques fléchissements dans la justesse apparaissent dans « Lorsque l’enfant revient », devenant franchement gênants dans une scène finale encombrée d’attaques par en dessous et de maniérismes hors propos. Le plus pénible restant, peut-être, « Pourquoi me réveiller », chanté fortississimo, sans aucun raffinement dans le phrasé.

Autour, l’équipe est solide, à l’exception d’un Schmidt trémulant et d’une Sophie certes gracieuse, mais trop molle et minaudante. Le baryton belge Ivan Thirion, en particulier, campe un Albert de grand relief. Néanmoins, comme à Montpellier, c’est, avec Charlotte, la direction d’orchestre qui soulève le plus l’enthousiasme.

Nous n’avions personnellement jamais entendu la jeune Lituanienne Giedre Slekyte, qui avait remporté un gros succès dans Rusalka, déjà à l’Opera Vlaanderen, en décembre 2019 (voir O. M. n° 158 p. 39 de février 2020). La « vive satisfaction » manifestée à l’époque par François Lehel, dans son compte rendu, se transforme cette fois en admiration.

Quelle flamme, quel formidable sens des équilibres sonores, quel sens de la progression dramatique, à la tête d’un orchestre maison de bout en bout somptueux ! Les tempi sont généralement lents (on dirait que Michel Plasson a fait école dans la jeune génération…), mais d’une lenteur habitée, pénétrante, et la tension ne se relâche pas un instant, culminant dans un interlude « de la Nuit de Noël » électrisant.

RICHARD MARTET

PHOTO © TOM CORNILLE

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