Comptes rendus Walkyrie musicalement au sommet à Bordeaux
Comptes rendus

Walkyrie musicalement au sommet à Bordeaux

04/06/2019

Auditorium, 23 mai

Quelle aubaine, décidément, que l’Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux soit doté d’une fosse aussi vaste que profonde, qui permette, non seulement d’y déployer les effectifs considérables impossibles à loger dans celle du Grand-Théâtre, mais surtout de présenter les ouvrages les plus colossaux du répertoire dans un confort d’écoute optimal !

Aubaine pour l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, d’abord, qui depuis son installation dans cette salle, et sous la houlette de son directeur musical Paul Daniel, s’est hissé au rang des meilleurs de l’Hexagone. Cette nouvelle production de Die Walküre en apporte encore la preuve, par la cohésion, l’endurance, la réactivité collectives, comme la qualité de chaque pupitre, et une sonorité à la fois pleine, boisée, que le chef britannique laisse s’épanouir, sans relâcher un instant la tension du drame. Il le mène, au contraire, d’un bras vigoureux mais jamais raide, ni démonstratif, jusqu’à des climax d’une électrisante force expressive, alliant à un degré supérieur l’épique et l’intime.

Le plateau vocal atteint des sommets identiques, en faisant pour certains rôles particulièrement exigeants, et exposés, le pari fou, sans doute, mais gagnant, de la jeunesse. À commencer par un bel octuor de Walkyries, au sein duquel se détachent Cyrielle Ndjiki Nya (Ortlinde)et Adriana Bignagni Lesca (Rossweisse), très grands formats en devenir, ainsi que Soula Parassidis (Helmwige), dont les « Hojotoho ! » fendent l’air avec la netteté irradiante d’une lame chauffée à blanc.

Encore à l’orée de la carrière, les Wälsungen se révèlent un peu gauches dans leurs mouvements, et parfois comme encombrés d’eux-mêmes. Mais quels instruments ! Lui, c’est le ténor américain Issachah Savage, dont le Bacchus intrépide et retentissant, voire tonitruant, à Toulouse, en mars dernier, ne laissait pas présager un Siegmund paré de tant de délicatesses, chez qui la mélancolie, empreinte dans un timbre sombre, presque fumé, prend le pas sur les éclats héroïques.

L’émotion que son chant dégage face à Sieglinde efface la sensation de déséquilibre provoquée, au premier acte, par les moyens confondants de sa supposée jumelle. Car la soprano canadienne Sarah Cambidge est une absolue révélation, fraîche émoulue du prestigieux « Adler Fellowship Program » du San Francisco Opera. Est-ce trop tôt pour Wagner, et Sieglinde en particulier ? Seul l’avenir le dira – si, par exemple, son vibrato bouillonnant vire au trémolo, ou si l’insolence presque aveuglante d’un aigu intarissable devient stridence… Mais comment résister à la richesse d’harmoniques qui, plus d’une fois, submergent un auditoire forcément bouche bée ? Et à cette incandescence qui, entre lyrisme frémissant et délire halluciné, signe une incarnation déjà aboutie, mieux, saisissante ?

Malgré une tendance déjà remarquée à enfler le bas du registre, Aude Extrémo campe une Fricka maîtresse femme, devant laquelle Wotan cède presque sans lutter. Peut-être aussi parce qu’Evgeny Nikitin, longtemps parangon de Klingsor rugissant, a perdu de sa superbe. Concentré dans le masque, son baryton-basse, émis avec une certaine nonchalance, manque dès lors autant de creux et de noirceur – le Hunding au grain compact de Stefan Kocan, lui, en a à revendre – que, souvent, de tonus, mais insuffle vie et relief à un dieu désabusé, sinon abattu, ruminant ses erreurs passées et, plus grave encore, celles qu’il sait être sur le point de commettre. Si ses rares accès d’autorité n’en sont que plus frappants, la touchante justesse de son ultime face-à-face avec sa fille préférée marque davantage encore.

Elektra d’exception, la saison passée, Ingela Brimberg est une Brünnhilde plus évidente encore, d’une intégrité, d’une étoffe sur tout l’ambitus, qui restent l’apanage des seuls monstres sacrés. La soprano suédoise rend constamment sensible, par son énergie physique, et plus magistralement encore, grâce au contrôle d’une ligne ciselée, l’évolution de la vierge guerrière, de volonté insouciante de son père à conscience individuelle, humaine.

Avec des interprètes de ce calibre, la mise en scène de Julia Burbach et Tal Rösner passe heureusement au second plan. Sans toutefois que ce vain assemblage entre des vidéos dont les hautes prétentions artistiques sont quasiment tuées dans l’œuf par une esthétique d’économiseur d’écran, et des costumes très « heroic fantasy », ait l’élégance de se faire oublier.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © ÉRIC BOULOUMIÉ

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