Comptes rendus « Voix d’automne » réussies à Évian...
Comptes rendus

« Voix d’automne » réussies à Évian

27/10/2020

Théâtre du Casino, 24 octobre

Ouf ! Malgré la crise sanitaire, le Festival « Voix d’automne » d’Évian, placé sous la conduite d’Alexandre Hémardinquer (directeur exécutif) et Philippe Bernhard (directeur artistique), a pu se tenir, comme prévu, du 23 au 25 octobre, moyennant des changements de programme et d’horaire jusqu’à la dernière minute.

Organisé dans le cadre d’un partenariat régulier avec l’Académie de l’Opéra National de Paris, le cycle de trois concerts s’est ouvert avec un « Victor Hugo en musique » encore plus passionnant que le « Don Quichotte » de l’an passé (voir O. M. n° 156 p. 64 de décembre 2019). Le principe est le même, reposant sur l’alternance entre interventions parlées (le pianiste Benjamin Laurent) et chantées (le baryton franco-ukrainien Vladimir Kapshuk).

Plus que jamais, le maître du jeu est Benjamin  Laurent qui, non content d’accompagner à la perfection airs d’opéra et mélodies, évoque avec une verve saisissante la figure de Victor Hugo. En termes de pédagogie sans pédanterie, je n’ai jamais entendu mieux ! L’un des plus grands écrivains de l’histoire revit sous nos yeux, dans sa personnalité complexe comme dans la diversité de son génie.

Les poèmes, extraits de pièces de théâtre et discours politiques sont admirablement choisis, récités et resitués dans leur contexte, le pianiste jouant au maximum de ses formidables dons d’acteur et de conteur. On apprécie également son aisance en scène, sa manière de s’adresser au spectateur sans familiarité superflue, au fil d’un spectacle effectivement « tout public », comme l’annonce l’affiche.

Les adultes présents dans le petit Théâtre du Casino, délicat bijou construit entre 1883 et 1885 par un élève de Charles Garnier, sortent ravis. Les enfants, curieusement peu nombreux en ce samedi matin de vacances scolaires, aussi. Que demander de plus ? Peut-être un chanteur à la personnalité plus affirmée, encore que cela se discute.

Comme dans le programme « Don Quichotte », on est frappé par la différence de niveau entre les deux partenaires. Vladimir Kapshuk n’est pas un mauvais baryton, il se montre même à l’aise dans le répertoire russe, représenté ici par le splendide monologue de Frollo, extrait d’Esmeralda d’Alexandre Dargomijski, d’après Notre-Dame de Paris (quelle superbe découverte !) et l’air d’Angelo, tiré d’Angelo, tyran de Padoue de César Cui, d’après la pièce éponyme.

Le français, l’allemand et l’italien le prennent, en revanche, au dépourvu. Les mélodies sur des poèmes de Victor Hugo (Si mes vers avaient des ailes de Hahn, Enfant, si j’étais roi et Oh ! quand je dors de Liszt) exposent le manque de charme du timbre et la tendance de l’aigu à partir en arrière. Le lied An die Musik de Schubert, illustrant les musiques aimées de l’écrivain, est correctement chanté, mais sans âme. Quant à l’air de Don Carlo, au troisième acte de l’Ernani verdien (« Gran Dio !… Oh, de’ verd’anni miei »), il échappe complètement à Vladimir Kapshuk, faute du souffle nécessaire.

Se pose dès lors une question : Benjamin Laurent devrait-il changer de partenaire ? Pas sûr. D’abord parce que les deux compères travaillent ensemble depuis longtemps et ont, de toute évidence, construit une vraie complicité. Ensuite parce qu’à leur manière, ils se complètent. Un chanteur plus rayonnant, en rééquilibrant le duo, risquerait d’en détruire le moteur, à savoir un rapport de forces résolument en faveur du pianiste-conteur.

On souhaite, dans tous les cas, une brillante carrière à ce programme « Victor Hugo en musique », que toutes les institutions théâtrales et culturelles de France se doivent de proposer à leur public. Triomphe garanti !

 

La Grange au Lac, 24 octobre

Initialement prévue avec Christina Pluhar et son ensemble L’Arpeggiata, cette production de Dido and Aeneas a finalement échu à Leonardo Garcia Alarcon et sa Cappella Mediterranea. Dirigeant, depuis le clavecin, un orchestre en effectif réduit (onze instrumentistes) mais au jeu pas moins remarquable, le chef argentin est le grand triomphateur de la soirée. Aucune des subtilités de la musique de Purcell ne lui échappe, son accompagnement de la célébrissime « Mort » de  la reine de Carthage, à la fois recueilli et voluptueux, atteignant au sublime.

Comment ne pas admirer, ensuite, la manière dont Leonardo Garcia Alarcon, dans le peu de temps dont il disposait, a transformé les stagiaires de l’Académie de l’Opéra National de Paris en véritables tragédiens ? C’est notamment le cas de Timothée Varon (28 ans), baryton français dont nous avions mesuré le potentiel dans différents concours, mais qui nous a surpris par l’émouvante sobriété de ses accents. Lui qui, d’ordinaire, a tendance à se montrer trop démonstratif dans son geste vocal, exprime les tourments d’Aeneas avec la réserve nécessaire.

Moins expressive que son compatriote, la mezzo Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (27 ans) met davantage de temps à succomber au pouvoir d’entraînement du chef. Bien chantante, mais insuffisamment incarnée, sa Dido ne convainc pas dans les deux premiers actes. Le III, en revanche, l’arrache enfin à sa neutralité, « When I am laid in earth » révélant de beaux accents et une ligne soignée, malgré un aigu trop crispé.

Autour, on retient la Belinda de la soprano suisse Andrea Cueva Molnar (27 ans également), joli timbre et fine musicienne, et, surtout, la formidable performance des stagiaires en formation chorale. Alors que certains appellent de sérieuses réserves quand ils chantent en soliste, la fusion des timbres et la cohésion des attaques sont la signature d’un ensemble vocal de très haut niveau. La récompense, sans doute, du travail d’équipe mené au sein de l’Académie.

La mise en espace de Pascal Neyron est minimaliste, se bornant à de beaux éclairages projetés sur le magique fond de scène de la Grange au Lac, cette forêt de bouleaux voulue par le regretté Mstislav Rostropovitch, à l’époque où il dirigeait les « Rencontres Musicales » d’Évian. Avec Leonardo Garcia Alarcon au pupitre, de toute manière, le théâtre est de bout en bout au rendez-vous.

Dido and Aeneas restant très bref pour constituer, à lui seul, le programme d’une soirée, un Prologue lui a été ajouté. Composé d’extraits de « semi operas » (King Arthur, The Tempest, Dioclesian) ou musiques de scène (Abdelazer, The Virtuous Wife) de Purcell, il représente un fort agréable hors-d’œuvre.

 

La Grange au Lac, 25 octobre

À l’origine, le concert de clôture du Festival « Voix d’automne », le dimanche, à 11 h 30, devait réunir Christina Pluhar, L’Arpeggiata et les stagiaires de l’Académie de l’Opéra National de Paris. Le forfait de l’ensemble et de sa fondatrice, en raison de la crise sanitaire, a contraint l’Académie à le remplacer, en catastrophe, par un « Hommage à Beethoven », à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance du compositeur, déjà proposé à l’Amphithéâtre Bastille, le 8 octobre.

Les circonstances étant exceptionnelles, nous ne nous attarderons pas sur les faiblesses dans l’interprétation de certaines pièces d’un programme par ailleurs bien construit, mêlant mélodies et pièces instrumentales (celles-ci par deux violonistes, un altiste et un violoncelliste de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris). Il nous semble préférable de nous concentrer sur ses temps forts, à commencer par les quatre lieder sur des poèmes de Goethe et Matthisson, confiés à deux brillants stagiaires de l’Académie : le chanteur Alexander York et le pianiste Felix Ramos.

À 28 ans, le baryton américain est un artiste à suivre de très près. La voix est belle, bien projetée, homogène, et l’allemand est prononcé avec une netteté et un naturel parfaits. Dans Adelaide, si difficile à restituer sous ses multiples facettes, l’intelligence du chant et le sens du théâtre font mouche, d’autant que l’accompagnement pianistique ne souffre d’aucune faiblesse, avec une imagination dans le toucher sans cesse renouvelée.

On se souviendra, également, des Trois Mélodies russes interprétées par Kseniia Proshina, avec accompagnement de piano, violon et violoncelle. À 26 ans, la soprano russe peut compter sur une voix aussi jolie que sa personne. L’expression manque encore un peu de relief, mais le charme compense.

L’assortiment de « songs» écossais et irlandais, dans le somptueux écrin offert par la pianiste stagiaire Olga Dubynska, la violoniste Cécile Tête et le violoncelliste Cyrille Lacrouts, met enfin en lumière deux « anciens » de l’Académie, accourus pour pallier le forfait de deux stagiaires actuels. La soprano française Jeanne Gérard (29 ans) chante avec poésie, le ténor chinois Yu Shao (34 ans) se distinguant par la beauté du timbre, l’émotion de l’accent et, surtout, cette énergie qui fait défaut à certains de ses partenaires.

PHOTO © FRANCK JUERY

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