Staatsoper/Play.wiener-staatsoper.at, 22 janvier
Le projet d’un Nabucco filmé devant une salle vide, au Staatsoper de Vienne, et retransmis sur la plateforme du théâtre, Covid-19 oblige, avait tout pour séduire, d’autant qu’il s’agissait de briser le carcan du confinement pour fêter les 80 ans de l’insubmersible Placido Domingo, le lendemain du jour anniversaire (21 janvier 2021).
Reprendre le troisième opéra de Verdi dans la mise en scène de l’erratique Günter Krämer, créée in loco, il y a vingt ans déjà, était moins heureux. Celui qui hier, à l’Opéra National de Paris, distanciait la Tétralogie wagnérienne moins comme un Brecht qu’à la manière d’un amuseur de tréteaux, avec son Siegfried façon Obélix, a de Nabucco une conception ludique mâtinée de prétention.
D’entrée de jeu, la métaphore de la danseuse de noir vêtue, censée évoquer, durant l’Ouverture, la jeune Abigaille agressant une Fenena en tutu blanc, devant un théâtre de marionnettes, est des plus incongrues. Les quatre parties de l’ouvrage, sur un fond de scène de nuit d’encre, mettront ce castelet en ligne de mire du drame.
La seule donnée biblique se résumera à une surimpression de caractères hébraïques et un ersatz des tables de la Loi. On aura du mal, par ailleurs, à voir, dans ce roi de Babylone en complet-cravate, le persécuteur d’un peuple tardivement honoré par les photos de martyrs du nazisme exhibées par les choristes du « Va, pensiero ».
Seule vraie consolation , la prestation du héros de la soirée, succédant in loco, entre autres, au vénérable Leo Nucci, baryton érodé par les ans. Placido Domingo, lui, présente le profil d’un ténor mué en baryton tendu vers l’aigu. En dépit des atours bourgeois dont on l’affuble et d’une inévitable difficulté à épouser les résonances graves de son emploi, le divo captive par la conviction de ses accents.
À ce titre, on tirera son chapeau à celui qui réussit à rendre prégnante la scène de sa sidération divine foudroyante aux accents douloureux, alors que la gestuelle de l’ensemble des protagonistes est des plus sommaires.
Aux prises avec l’étendue meurtrière d’Abigaille, qu’elle incarne régulièrement aux quatre coins de la planète, Anna Pirozzi assure. Non sans pécher par la ténuité de ses graves, versus des aigus forte à l’arraché. Le meilleur moment de ce drammatico est encore, paradoxalement, son « An’chio dischiuso » délicat et fluide.
Moins exposée en Fenena, Szilvia Vörös lui offre un contrepoint mesuré et de bonne tenue. On ne s’appesantira pas sur Freddie De Tommaso, Ismaele de routine, ni sur Riccardo Zanellato, improbable Zaccaria. Orchestre et chœurs sont, à l’inverse, exemplaires, en dépit de la direction de Marco Armiliato, alternant mortelles lenteurs et assauts débridés.
JEAN CABOURG
PHOTO © WIENER-STAATSOPER/MICHAEL PÖHN