Opéra Bastille, 4 décembre
Triomphe aux saluts pour la première de cette Turandot, qui ouvre le mandat de Gustavo Dudamel comme directeur musical de l’Opéra National de Paris et fête le retour, à l’Opéra Bastille, de Robert Wilson pour un nouvel opéra de Puccini, vingt-huit ans après sa fameuse production de Madama Butterfly, sans cesse reprise depuis.
À la création de cette Turandot, au Teatro Real de Madrid, en décembre 2018, Mehdi Mahdavi avait parlé de « splendeur absolue » (voir O. M. n° 147 p. 46 de février 2019). Force est de reconnaître que l’esthétique bien connue du créateur américain – qui vient de fêter, en octobre, son 80e anniversaire – convient à l’œuvre, l’arrachant à l’habituelle surcharge kitsch orientalisante pour la tirer vers une stylisation bienvenue, en offrant des tableaux d’un grand esthétisme.
Une fois encore, on admire les très belles couleurs – en particulier, le sublime rouge sang de la robe de Turandot qui, au dernier tableau, va, après que celle-ci s’est laissée aller à l’amour, contaminer tout le plateau –, le dispositif scénique et le jeu des lumières, ainsi que cette fameuse gestuelle réglée au millimètre – même si tous les chanteurs ne se l’approprient pas avec le même bonheur. Ajoutons que, pour une fois, le hiératisme des poses est compensé par le jeu décalé demandé à Ping, Pang et Pong, ces trois « masques » hérités de la commedia dell’arte qui, dodelinant de la tête et virevoltant, apportent un contrepoint ironique à l’action.
S’agissant de Gustavo Dudamel, Turandot prolonge son histoire d’amour avec l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, initiée avec La Bohème, en décembre 2017 (voir O. M. n° 135 p. 49 de janvier 2018). Puccini convient décidément très bien au maestro vénézuélien, dont on salue la parfaite maîtrise des paramètres du chef de fosse : sens du théâtre, n’excluant pas le souci du détail ; soutien constant aux chanteurs, en respirant avec eux ; art de faire sonner glorieusement sa phalange, en évitant le piège du clinquant ou du tonitruant, par-delà la luxuriance de l’orchestration. On attend maintenant qu’en plus de ce beau savoir-faire, s’affirme un style plus personnel.
Les Chœurs de l’Opéra National de Paris, dirigés par Ching-Lien Wu, montrent l’excellence de leurs pupitres et la générosité de leur pâte sonore, mais ils peinent parfois à coordonner leurs entrées musicales avec leurs déplacements et leurs gestes. Que des éloges, en revanche, pour les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine !
La distribution est soignée jusque dans les petits rôles, du sonore Mandarin de Bogdan Talos au très performant Altoum de Carlo Bosi. Bravo aux trois Ministres, Alessio Arduini, Jinxu Xiahou et Matthew Newlin, aux timbres parfaitement appariés et qui prennent manifestement plaisir à sautiller en tous sens. Et révérence au Timur, à la solidité du bronze, de Vitalij Kowaljow.
Du trio principal, le Britannique Gwyn Hughes Jones est l’élément le plus faible, Calaf peu charismatique, à la voix manquant de brillant et d’ampleur dans l’aigu, vite serré et blanc, ainsi que de chaleur dans le grave. Souvent couvert par l’orchestre ou par sa Turandot, le musicien est, de surcroît, d’une grande inexpressivité, et l’acteur particulièrement maladroit dans les poses wilsoniennes.
Tout le contraire de l’émouvante Liù de la Chinoise Guanqun Yu – la plus applaudie de la soirée –, qui montre un grand naturel scénique et une rayonnante présence vocale, avec un soprano fruité dans le médium, radieux dans l’aigu, jusqu’à un splendide si bémol filé, à la fin de « Signore, ascolta ! ».
Enfin, la Turandot de la Russe Elena Pankratova fait preuve d’une belle endurance et d’une grande sûreté technique, délivrant « In questa reggia » et la scène des énigmes avec une autorité impérieuse, même si la voix n’a plus le tranchant dans l’aigu, ni la richesse dans le grave, d’il y a dix ans. On apprécie son sens des nuances, sa manière de moduler le texte et de laisser affleurer la fragilité du personnage, quand tant de titulaires se contentent d’exhiber un contre-ut arrogant.
Une production appelée à faire les beaux soirs de l’Opéra National de Paris, pendant de nombreuses saisons, qui augure bien du mandat du nouveau directeur musical.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/CHARLES DUPRAT