Teatro del Maggio, 22 septembre
La principale attraction de cette nouvelle production était la prise du rôle de Violetta par Nadine Sierra. Applaudie dans le monde entier pour ses incarnations de Gilda (Rigoletto) et Lucia (Lucia di Lammermoor), la soprano américaine témoigne, sans surprise, d’une formidable aisance au I.
Brillante dès le célébrissime « Brindisi », passionnée dans le duo avec Alfredo qui suit, elle fait valoir toutes ses qualités de timbre (vraiment splendide !) et d’émission (quelle fluidité !) dans la scène conclusive. S’offrant le luxe d’insérer des variations dès la section lente (« Ah, fors’è lui »), Nadine Sierra veille à ne jamais sacrifier la diction au vertige des vocalises dans la cabalette (« Sempre libera »), couronnée d’un stupéfiant contre-mi bémol, attaqué en gonflant progressivement le volume, puis longuement tenu sur l’accord final.
La surprise arrive au II, quand celle que l’on croyait lirico leggero révèle un poids inattendu dans les élans du duo avec Germont, puis dans un irrésistible « Amami, Alfredo », où la voix se déploie sans effort au-dessus de l’orchestre. Le III n’est plus qu’une formalité, bouleversant de la première à la dernière note, qui fait passer le frisson dans le dos du spectateur.
Alfredo n’a plus de secrets pour Francesco Meli. Idéal dans ce personnage tout d’ardeur juvénile, qu’il a toujours veillé à ne pas tirer vers le macho arrogant et expéditif, le ténor italien se présente dans une forme vocale qu’on ne lui a pas toujours connue. Même la périlleuse cabalette du début du II ne lui pose, ce soir, aucun problème ! La variété des couleurs, la vivacité du phrasé et le soin apporté à l’expression musicale des sentiments sont exactement ce que réclame le rôle, sans pour autant fermer la porte à la concurrence.
Que dire et écrire de Leo Nucci qui ne l’ait déjà été ? Phénomène de longévité, le baryton italien fait valoir, en Germont, une qualité de diction, une fermeté dans la projection et une arrogance dans l’aigu que beaucoup de ses jeunes collègues pourraient lui envier. Surtout, on reste saisi par la manière dont, à chaque représentation, il varie tel ou tel accent, telle ou telle inflexion, telle ou telle tenue de note – preuve qu’à 79 ans, il prend toujours autant de plaisir à approfondir ses personnages.
Représentant la nouvelle génération, les comprimari remplissent globalement leur office et les chœurs, bien préparés par Lorenzo Fratini, n’appellent aucun reproche. Quant à Zubin Mehta, cinquante-sept ans après sa première Traviata à Florence (!), il livre une lecture qu’il nous sera difficile d’oublier.
Alors que sa santé demeure précaire, et qu’on le sait très fatigué certains soirs, le maestro, florentin d’adoption depuis de longues années, tient sans faiblir sa phalange (qui l’adore), apporte un soutien sans faille aux chanteurs et fait même preuve d’élans juvéniles, surprenants chez un monsieur de 85 ans. Un vrai miracle, salué par une salle debout et en délire, au rideau final.
Visuellement spectaculaire, la production laisse, en revanche, perplexe. Pas tant pour la décision de transposer l’action dans le temps (La traviata en a vu de toutes les couleurs, ces dernières décennies !), que pour la pertinence du choix effectué par Davide Livermore.
Violetta nous est présentée comme une mère maquerelle, encaissant les gains de ses « filles » dans une maison close du Paris soixante-huitard. Au II, elle devient une sorte de photographe, travaillant dans un atelier, avant de revenir, au III, dans la maison close du I, transformée en une espèce d’hôpital.
Le reste est à l’avenant : slogans féministes sur les murs, Germont métamorphosé en capitaliste, façon Gianni Agnelli (le légendaire patron de Fiat), Alfredo en Lapo Elkann (le petit-fils du précédent), s’adonnant à la débauche, Flora devenue lesbienne, couples gays sur la scène… Ce serait donc ça, la provocation ?
ANDREA MERLI
© MAGGIO MUSICALE FIORENTINO/MICHELE MONASTA