Auditori Parc del Castell, 5 août
Pour sa deuxième nouvelle production verdienne à Peralada, après Otello, en 2015, Paco Azorin demeure fidèle aux mêmes principes : dépouillement du décor, constitué d’un plancher en lattes de bois et de tables de billard bordées de petites lampes au néon, qui devient paroi de fond au premier tableau du II et au III, les tables apparaissant alors suspendues perpendiculairement au sol ou disposées horizontalement pour servir d’écritoire ou de lit ; importance des lumières, magnifiquement variées, d’Albert Faura ; et, encore davantage, des projections vidéo de Pedro Chamizo, immenses peintures abstraites dans des couleurs violentes (rouge, vert…).
Les costumes du styliste Ulises Mérida, qui situent l’action dans un XXe siècle indéterminé, sont particulièrement réussis dans le cas de Violetta (tailleur-pantalon noir, cape et chaussures mauves au I, spectaculaire robe en lamé argent chez Flora…), renvoyant explicitement à l’image de la « femme libre » à laquelle se réfère Paco Azorin, de Colette à Katharine Hepburn, en passant par Marlene Dietrich.
On oubliera les coquetteries du metteur en scène espagnol (les acrobates descendant des cintres en rampant sur la paroi du fond, qui ne servent à rien mais ne dérangent pas, la présence récurrente de la fille de Violetta, tout aussi anecdotique), pour saluer une direction d’acteurs extrêmement affûtée, mettant prioritairement l’accent sur la violence entre les personnages, mais sachant également traduire le désespoir et la tendresse.
René Barbera, que nous n’avions jamais vu aussi investi sur le plan scénique, est le premier à en bénéficier. Son Alfredo impulsif, qui fait un câlin à la fille de Violetta (on imagine qu’il la recueillera après la mort de sa mère) mais jette les billets de banque au visage de sa maîtresse comme des projectiles, convainc de bout en bout. Surtout que la voix, bien qu’un peu légère, se glisse sans problème dans la tessiture du rôle, avec une émission idéalement haut placée, une projection parfaite et un aigu à la fois lumineux et percutant.
Le Germont de Quinn Kelsey laisse, en revanche, perplexe. Tirant parti de la carrure imposante et du timbre sombre du baryton américain, qu’il habille en Jack Rance, Paco Azorin en fait une brute sadique, proche de Scarpia. Ses « Piangi », presque aboyés à la figure de Violetta, deviennent autant de moyens de coercition exercés contre une héroïne qui termine le duo du II, écrasée aux pieds de son tourmenteur. L’effet est dramatiquement saisissant, mais l’on est fondé à penser que le texte dit autre chose.
Plus gênant, la voix de Quinn Kelsey a perdu de sa facilité dans le haut du registre et l’effort est perceptible, surtout dans un rôle aussi aigu et lyrique que Giorgio Germont. Dans Verdi, on l’entend désormais en Amonasro, Iago ou Simon Boccanegra. Surtout, on attend Scarpia, Jack Rance et Tonio dans Pagliacci !
Entourée de seconds rôles inégaux, la Violetta d’Ekaterina Bakanova, au physique de star hollywoodienne, concentre tous les regards. Dotée d’un irrésistible charisme vocal et scénique, la soprano russe fait rapidement oublier un timbre trop léger pour le rôle – mais, en ce sens, idéalement accordé à celui de son Alfredo – et des vocalises un rien laborieuses dans « Sempre libera ».
Ses qualités de diseuse, son sens des nuances, l’émotion qu’elle confère au moindre de ses accents, signent une incarnation qui restera dans les mémoires. Preuve supplémentaire qu’il est possible de triompher dans un emploi aussi exigeant sans posséder des moyens exceptionnels, l’essentiel restant de tirer le meilleur parti du matériau dont on dispose.
Riccardo Frizza, qui dirige une exécution quasi intégrale de la partition, ne cesse de progresser. Son sens du discours verdien, sa manière d’accompagner les chanteurs, le souffle qu’il insuffle aux airs et aux ensembles (formidable finale du II !) emportent l’auditeur sur les cimes, avec le concours d’un excellent orchestre (Orquestra Simfonica del Gran Teatre del Liceu) et d’un chœur exceptionnel (Coro Intermezzo), impeccablement préparé par José Luis Basso.
RICHARD MARTET
PHOTO © TOTI FERRER