Théâtre Royal/www.operaliege.be, 8 avril
Pour célébrer ses 200 ans, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège avait imaginé « un programme de fête, antidote aux mois de douloureux confinement ». Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général et artistique de la maison, avait choisi d’adapter sa mise en scène de La traviata, créée en 2009. Du 16 au 20 novembre 2020, Patrizia Ciofi, René Barbera et Leo Nucci devaient incarner, respectivement, Violetta Valéry, Alfredo Germont et Giorgio Germont. Hélas, la brutale (re)fermeture des salles s’est abattue sur le projet. Puis Stefano Mazzonis di Pralafera s’est éteint, le 7 février 2021. Après un concert à sa mémoire, c’est en streaming que le théâtre offre une unique représentation de La traviata, filmée à huis clos, le 8 avril.
Le deuil, la vulnérabilité, l’absence appelaient l’œuvre sans laquelle, disait-on déjà, en temps normal, il faudrait fermer les maisons d’opéra. Les voilà fermées. La traviata laisse espérer leur renaissance. Directrice musicale de la maison, Speranza Scappucci incarne cette espérance, à la tête d’un Orchestre et de Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège survoltés.
La gestique, les tempi, l’attention au chant montrent une compréhension exceptionnelle de la métaphore verdienne. La maestra concertatrice restitue la dramaturgie par un art de la transition et de l’opposition : ainsi, les quatre mesures séparant le prélude et la première scène ; ainsi, le douloureux thème à la clarinette, commentant le calme que s’impose Violetta, au moment d’écrire sa lettre de rupture à Alfredo ; ainsi, la fureur incisive des anciens amants, lors de leur rencontre chez Flora (« Mi chiamaste ?… Che bramate ? »).
Seule rescapée du trio principal initialement prévu, Patrizia Ciofi ne compose pas, ne joue pas, ne tousse pas, ne surveille pas ses effets : elle est Violetta dans la simplicité du ton, la fluidité mélodique, la maîtrise parfaite de l’émotion. L’art cache l’art : un « Dite alla giovine » d’anthologie, le plus poignant « Amami, Alfredo » qu’il soit donné d’entendre aujourd’hui, une scène finale déchirante, que transfigure la lumière.
Ceux qui l’entourent ne déméritent pas. Si l’on peut rêver plus de délicatesse chez Alfredo, Dmitry Korchak a l’émission vaillante et l’aigu généreux. Giovanni Meoni est un authentique baryton verdien : certes, son Germont marmoréen pourrait montrer plus de compassion et de fragilité intérieure, mais le chant est irréprochable. Une équipe homogène de comprimari, emmenée par le Grenvil d’Alexei Gorbatchev et la Flora de Caroline de Mahieu, complète avantageusement.
La mise en espace de Gianni Santucci, ancien collaborateur de Stefano Mazzonis di Pralafera, conserve l’essentiel de la production originale, que nous avions vue lors de sa reprise, en 2012 (voir O. M. n° 74 p. 53 de juin). Lumières, costumes, décors, adaptés du travail de Franco Marri, Kaat Tilley et Edoardo Sanchi, se plient, sans difficulté, aux contraintes du jour. Le chœur valeureux prend place au parterre et, dans les loges, l’orchestre surplombe à tous égards.
PATRICE HENRIOT
PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE