Deutsche Oper/www.deutscheoperberlin.de, 14 mars
Dans la ligne de leur Cosi fan tutte de l’été salzbourgeois 2020, Christof Loy et Johannes Leiacker ont conçu un décor unique, frontal et symétrique, dont le dépouillement raffiné, remarquablement éclairé par Olaf Winter, rompt délibérément avec la surcharge décorative et historicisante que paraît appeler Francesca da Rimini, flamboyante tragédie de Gabriele D’Annunzio, mise en musique par Riccardo Zandonai (Turin, 1914).
Au centre d’une vaste pièce, avec, pour tout ornement, un fond de papier peint à fleurs d’une grâce lumineuse, et dans un encadrement de théâtre où peut se baisser un second rideau, quelques marches conduisent à un jardin d’hiver fermé par de hautes portes-fenêtres, au travers desquelles s’aperçoivent épisodiquement des paysages enchanteurs ou, quand il le faut, des défilements dramatiques de fumées d’incendie (pour la bataille du II, acte plein de bruit et de fureur) ou de sombres vapeurs (pour le finale, d’un romantisme crépusculaire).
De même pour les costumes de Klaus Bruns, qui connotent sobrement un déplacement au XXe siècle : hommes en costumes-cravates noirs, comme la robe ou le tailleur-pantalon de Francesca. On est donc aux antipodes de la production de Giancarlo Del Monaco, croulant sous le kitsch « fin de siècle », présentée à l’Opéra Bastille, en 2011, nonobstant le discret semis de fleurs sur les marches ou la mince guirlande de violettes dont Francesca est coiffée, au III – plus proche, en revanche, du travail de Nicola Raab pour l’Opéra National du Rhin, en 2017, voire de David Pountney pour la Scala de Milan, en 2018.
D’emblée, une trépidation intense et des mouvements de groupe soigneusement réglés nous plongent dans l’intensité de l’action, qui culminera avec la difficile bataille du II, puis la non moins périlleuse scène grand-guignolesque du IV – Christof Loy renonçant même, un peu curieusement, à la claudication de Gianciotto –, avec une direction d’acteurs, par ailleurs, très affûtée. Alors que le I, dont le splendide chœur terminal (« Per la terra di maggio ») marque peut-être le sommet de la partition, est ainsi de toute beauté, ce n’est pourtant pas sans une certaine baisse de tension au III, où la musique ralentit, elle aussi, sensiblement.
Un plateau composé largement de prises de rôles, pour cette entrée (bien tardive) de l’ouvrage au répertoire du Deutsche Oper, bénéficie de deux héros de premier plan. En Francesca, Sara Jakubiak déroute d’abord un peu par son visage anguleux, voire une certaine sécheresse, sans la sensualité latine qui paraît constitutive du personnage. Mais l’actrice se révèle vite émouvante, avec une concentration intérieure impressionnante. La prouesse vocale est tout aussi convaincante, même si ce lirico spinto, nourri et puissant, n’est pas complètement idiomatique.
Son Paolo est d’une séduction d’archange, dont la première apparition est aussi saisissante pour nous que pour elle. Le jeune Jonathan Tetelman – qui a notamment Rodolfo (La Bohème), Pinkerton (Madama Butterfly) ou Mario Cavaradossi (Tosca) à son répertoire – allie la beauté d’un timbre chaud et lumineux, à une technique sans faille.
Si Charles Workman donne un Malatestino délié et sans caricature, au milieu d’honorables comprimari, le Gianciotto d’Ivan Inverardi, plus âgé, et sur tous les plans plus lourd, véhémence incluse, que ses deux frères, est un peu en retrait.
Carlo Rizzi est pleinement le chef de la situation, avec un orchestre qui a toute la somptuosité requise (superbe solo de violoncelle, à l’entrée de Paolo, en lieu et place de la « viola pomposa » réclamée par Zandonai !).
L’ensemble, très bien filmé, sans public, le 14 mars, et diffusé en direct sur le site du Deutsche Oper, devrait donner lieu à un DVD qui nourrira une rare vidéographie, pour rejoindre la production du Metropolitan Opera de New York, en 1984, qui fait jusqu’ici référence (Deutsche Grammophon).
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS