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Comptes rendus

«Streaming», le mot qui fâche (éditorial du numéro de février)

26/01/2021

Les jours meilleurs ne sont décidément pas pour maintenant. L’année 2021 a commencé comme s’était achevée 2020, dans la grisaille. À de rares exceptions près, dont l’Opéra de Monte-Carlo et le Teatro Real de Madrid demeurent les plus emblématiques, les théâtres lyriques restent fermés au public, tout en poursuivant leurs activités et en diffusant, pour la plupart, leurs productions en streaming.

En parcourant depuis trois mois la rubrique « Comptes rendus » d’Opéra Magazine, on peut légitimement avoir l’impression que la situation, sans être revenue à la normale, n’est pas aussi sérieuse qu’elle le paraît. Dix-sept pages dans le numéro que vous tenez entre les mains, davantage dans le prochain, il y aurait, a priori, de quoi se réjouir. Sauf que regarder un opéra devant son ordinateur n’a absolument rien à voir avec l’expérience vécue en direct dans la salle.

Les inconvénients sont connus : manque de proximité avec le spectacle et les chanteurs, absence de communion et de partage avec les autres spectateurs, images parfois transformées en « trous noirs », d’où émergent quelques silhouettes (beaucoup de mises en scène supportent mal le filmage), perception sonore erronée (tous les ordinateurs ne sont pas reliés à des équipements high-tech !), sans oublier une qualité de réalisation très inégale, en fonction des moyens dont disposent les théâtres.

Car le streaming a un coût. De plus en plus de directeurs y recourent, ne serait-ce que pour pouvoir montrer le résultat de plusieurs semaines de répétitions, en donnant du travail à leurs équipes permanentes et en rémunérant les artistes invités pour service fait. Souvent, le cachet de ces derniers est très inférieur à ce qu’il aurait dû être, mais c’est sans doute mieux que rien. Et le plaisir de jouer compense en partie, du moins on l’espère, l’insatisfaction qu’ils ressentent à chanter devant des rangées de sièges vides.

« C’est toujours mieux que rien » est également la réaction manifestée par les habitués des salles lyriques, aussi frustrés que les artistes, impatients de retourner au théâtre, mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Pas tous, cependant : au bout de seulement quelques mois, certains manifestent leur lassitude, voire leur « ras-le-bol », et commencent à se détourner des écrans. Un avertissement pour ceux qui voient, dans le streaming, un nouveau mode de consommation qu’il conviendrait de développer, une fois la crise sanitaire passée.

Mon confrère et ami Alain Duault a bien résumé les enjeux, dans une tribune publiée dans Le Figaro, le 8 janvier, titrée « S’habituer à “consommer” la culture devant des écrans serait une catastrophe ». Pis-aller en temps de pandémie, le streaming aura toujours sa place, ne serait-ce que pour amener encore davantage le spectacle vivant à ceux qui en sont éloignés par les circonstances. Mais il doit rester marginal, en complément des autres modes de diffusion par écrans interposés (télévision, DVD, Blu-ray).

Car on peut, à juste titre, s’effrayer d’un monde où il deviendrait la norme, et la présence dans la salle, l’exception. Je pense, plus particulièrement, aux moins de 30 ans – le public de demain, ne l’oublions pas ! –, biberonnés aux écrans en tout genre depuis leur petite enfance. La fréquentation des salles de cinéma et de concert, aussi vastes soient-elles, prouve que, pour l’instant, ils continuent à garder le goût de sortir et de partager « physiquement » avec les autres. Mais en ira-t-il toujours ainsi ?

Dans une société grignotée par l’individualisme, où la pandémie aggrave et multiplie les situations d’isolement, il est tentant de se réfugier dans des réalités virtuelles, au risque qu’elles deviennent, au fil des mois, un mode de vie. Est-il utile de rappeler ici que l’homme est un animal sociable, et qu’aller au spectacle est une manière de nous rapprocher les uns des autres et de communier dans une même passion ?

RICHARD MARTET

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