Opéra, 12 octobre
Un rectificatif, d’abord : contrairement à ce que l’Opéra National du Rhin avait annoncé dans sa brochure de saison, puis dans son dossier de presse, cette nouvelle production ne marque pas la création française de Stiffelio. Le seizième opéra de Verdi (Trieste, 16 novembre 1850) a déjà été joué à Reims, en 1994, puis à Toulon, l’année suivante, avec le même ténor : Zvetan Michailov. Ce qui ne retire rien au fait que l’ouvrage, l’un des plus intéressants de la période dite des « années de galère », demeure une rareté.
S’agissant d’un titre aussi peu connu, Alain Perroux, directeur général de l’ONR, a eu raison de jouer la carte de la sagesse pour la mise en scène. Avec le concours de Hannah Clark et Malcolm Rippeth, Bruno Ravella signe un spectacle sobre, esthétiquement moins beau, sans doute, que son Werther à l’Opéra National de Lorraine, en 2018, mais d’une lisibilité parfaite.
Le décor, tout en bois, se résume à une église stylisée, posée au centre du plateau. Un bureau, une longue table, une bibliothèque, quelques chaises, un pupitre renforcent le sentiment d’austérité qui prévaut dans la communauté des Ashavériens. Les costumes, dans une gamme blanc/noir/gris, sont contemporains, et la direction d’acteurs évite que la tension dramatique ne se relâche.
Stiffelio n’en demande pas davantage, d’autant que Bruno Ravella veille à conclure de la plus belle des manières. Devant un superbe ciel nuageux, les fidèles s’aspergent longuement avec l’eau qui a soudain envahi le plateau, comme pour se régénérer à la source même de leur foi et se laver de leurs péchés.
Musicalement, le bilan est plus mitigé. Après un très mauvais départ (pupitres décalés, direction prosaïque), l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et Andrea Sanguineti trouvent leur rythme de croisière, sans convaincre totalement jusqu’au tableau final, aussi réussi en fosse que sur le plateau. Il est vrai que c’est le moment où le Chœur de l’Opéra National du Rhin, préparé par Alessandro Zuppardo, est le mieux mis en valeur par la partition.
À côté d’honnêtes comprimari, soprano et baryton font de leur mieux, mais cela ne suffit pas dans un opéra présentant de telles difficultés. Membre de la troupe du Semperoper de Dresde, l’Arménienne Hrachuhi Bassenz chante très bien dans la nuance piano/pianissimo, avec un legato soigné. Dommage qu’elle n’exprime pas grand-chose et, surtout, s’avère complètement dépassée dans les passages dramatiques du rôle de Lina, notamment la meurtrière cabalette du II (« Perder dunque voi volete »).
L’Uruguayen Dario Solari, de son côté, a conservé ses qualités de timbre, mais l’instrument, qui montrait déjà des signes de fatigue dans Macbeth, à Rome, en 2011, ne répond plus que par intermittence, et la justesse est un combat de tous les instants. Le grand air de Stankar, au III (« Lina, pensai che un angelo »), parmi les plus somptueux destinés par Verdi à la voix de baryton, en souffre tout particulièrement.
Par chance, Alain Perroux a eu la main heureuse pour Stiffelio, distribué à Jonathan Tetelman. Le jeune ténor américain (32 ans), que les théâtres les plus prestigieux s’arrachent désormais, a sans doute intérêt, dans les années qui viennent, à ne pas fréquenter assidûment un rôle perceptiblement trop grave pour lui. Mais comment résister à une voix aussi jolie, saine et bien placée ? L’acteur déroute au premier abord, mais sa gaucherie convient in fine au personnage, auquel il confère une émouvante crédibilité.
RICHARD MARTET