Opéra Grand Avignon, 15 octobre
Pari gagné pour Frédéric Roels. Programmer – et mettre en scène – un titre aussi exigeant que Peter Grimes, pour la réouverture de l’Opéra Grand Avignon, refait à neuf après quatre années de travaux, s’annonçait comme un parcours semé d’embûches. L’exemplaire réussite finale est à la hauteur du défi.
Un mot, d’abord, du bâtiment. Rendu à sa splendeur d’antan, il est, vu de l’extérieur, superbe. Le choix du bois clair et du velours vieux rose, pour l’intérieur de la salle, s’avère payant, par la luminosité qu’il introduit. Quant à l’acoustique, elle est excellente, tant pour les voix que pour l’orchestre.
Visuellement, le spectacle se caractérise par sa sobriété, mais aussi son habile gestion de moyens techniques et budgétaires n’ayant rien à voir, pour citer deux productions récentes, avec ceux du Teatro Real de Madrid (voir O. M. n° 174 p. 49 de juillet-août 2021) ou du Theater an der Wien (voir plus loin).
Point de salle municipale au Prologue, mais un plateau recouvert d’une bâche en plastique noir, pouvant évoquer la mer, et une rangée de spots braqués vers le public. Les habitants émergent l’un après l’autre de l’obscurité. Quand la lumière des spots s’abaisse, apparaît, au fond, un ciel nuageux et, plus avant, deux pontons de bois, rappelant que le village est un port.
L’un des pontons devient ensuite la table du pub, la bâche se soulevant pour servir de toit à ce dernier puis, au II, à la cabane de Peter Grimes. Pour le reste, peu d’éléments de décor, mais toujours signifiants, comme cette barque renversée, omniprésente, symbole à la fois de l’activité exercée par le héros et de la fin tragique qui lui est imposée.
S’adressant à un public pas forcément familier de l’ouvrage (il s’agit d’une création in loco), Frédéric Roels raconte l’histoire, simplement et intelligemment, sans platitudes ni redondances. Il est évidemment possible de creuser davantage les sous-entendus et non-dits d’un livret qui n’en manque pas, mais le directeur de l’Opéra Grand Avignon, dans le contexte précis de cette nouvelle production, a eu raison de ne pas s’y aventurer.
La distribution est dominée par l’émouvante Ellen Orford de Ludivine Gombert, à l’aigu idéalement lumineux, mais possédant aussi l’étoffe dans le bas médium et le grave qui faisait défaut, par exemple, à Maria Bengtsson, à Madrid.
Avec sa voix placée très haut, étroite et nasale, évoquant celle de Klaus Florian Vogt en plus enfantin, Uwe Stickert surprend. Mais, une fois habitué, on se laisse prendre au portrait que le ténor allemand offre de Peter Grimes, en jouant sur l’intensité du son, à défaut de pouvoir varier les couleurs.
Le reste de la distribution, où l’on note la présence de nombreux artistes français, n’accuse aucune faiblesse et, là encore, il faut en remercier Frédéric Roels. Chanter cette musique, surtout quand on n’est pas anglophone, n’est pas une sinécure ! À saluer, également, la prestation des chœurs (Opéra Grand Avignon et Opéra Orchestre National Montpellier), impressionnants d’engagement et de cohésion.
Le plus enthousiasmant, peut-être, reste la performance (il n’y a pas d’autre terme) de l’Orchestre National Avignon-Provence, dirigé avec un métier confondant par Federico Santi. Pour leur première rencontre avec Peter Grimes, chef et instrumentistes se surpassent, dans une partition extrêmement compliquée à mettre en place.
Un véritable souffle émerge de la fosse, emportant le spectateur dans un voyage qu’il n’est pas près d’oublier.
RICHARD MARTET
PHOTO © MICKAËL & CÉDRIC/STUDIO DELESTRADE