Comptes rendus Spectaculaire Rigoletto lacustre à Bregenz
Comptes rendus

Spectaculaire Rigoletto lacustre à Bregenz

05/09/2019

Seebühne, 17 juillet

Rigoletto au cirque : l’idée n’a vraiment rien de nouveau, déjà exploitée à Aix-en-Provence par Robert Carsen, en 2013, production abondamment reprise ensuite (Strasbourg, Genève, Bruxelles, Moscou…). D’après Carsen, « la vie est un cirque, et l’être humain un clown », transposition visuellement, voire psychologiquement, riche, pour un résultat, cela dit, plus ou moins pertinent selon les moments.

Il en va de même pour le travail de Philipp Stölzl sur la Scène flottante (Seebühne) de Bregenz, encore que cette fois, dans un espace naturel aussi énorme, il devient tellement essentiel de privilégier les aspects spectaculaires et ludiques que certains problèmes de vraisemblance se posent beaucoup moins, voire plus du tout.

Dans cette production, Rigoletto est de nouveau un clown blanc, à la particularité près que le décor entier reproduit son personnage à une échelle géante. La tête, les mains et la collerette du bouffon émergent du lac de Constance, dispositif très accidenté dont toutes les surfaces, y compris les plus raides, peuvent servir d’espace de jeu.

De surcroît, l’ensemble est animé en permanence de mobilités spectaculaires, démonstration technique dont la Scène flottante est coutumière, mais qui n’avait jamais été poussée aussi loin. Ici, tout bouge (tête, mais aussi mâchoire, yeux, paupières, mains, doigts…) avec un extraordinaire naturel, fluidité expressive obtenue au moyen de complexes systèmes hydrauliques.

L’ensemble est piloté par un seul régisseur, aux responsabilités écrasantes, face à un arsenal de commandes informatiques digne d’un cockpit d’avion. À titre indicatif, la seule tête mesure 14 mètres de haut, pèse 175 tonnes et doit être manœuvrée en douceur car, parfois, une bonne dizaine de chanteurs et figurants sont perchés dessus !

En cette soirée de première, donnée dans des conditions météorologiques idéales, on ressent l’exceptionnelle tension de toute l’équipe du Festival, au moment où vont se concrétiser trois pleines années de travail intensif. Et heureusement, tout fonctionne à la perfection.

S’il fallait ne retenir qu’une seule image, ce serait, sans doute, la lente ascension du ballon que Rigoletto (ou du moins sa représentation géante) tient dans la main gauche : une sphère gonflée à l’hélium qui entraîne Gilda jusqu’à une hauteur de 15 mètres, en train de chanter « Caro nome » assise à califourchon sur le bord d’une toute petite nacelle, une jambe pendant dans le vide. Vertigineux, mais aussi très poétique, avec la « tête » du décor qui se tourne pendant ce temps complètement vers le haut, en direction de ce ballon qui, lentement, risque de lui échapper, avec une expression d’une indicible mélancolie.

Sur le plan musical aussi, la Scène flottante continue à progresser, avec un nouveau dispositif de sonorisation encore plus sophistiqué. À quelques rares anicroches près, la restitution des timbres permet d’apprécier à sa juste valeur l’énorme travail accompli par Enrique Mazzola et les Wiener Symphoniker : une lecture intensément dramatique, mais aussi d’une vraie subtilité.

Distribution très internationale, là encore soudée par de nombreuses semaines de travail, et qui ose tout, y compris les apparitions les plus élevées et instables, où il est indispensable de s’assurer avec des harnais et des filins de sécurité. Duc de Mantoue plutôt nuancé du ténor américain Stephen Costello, Rigoletto efficace du baryton bulgare Vladimir Stoyanov, et une jolie Gilda, la prometteuse soprano française Mélissa Petit, dont le trille ne vacille pas, même en altitude.

À l’extrême fin, le ballon emporte l’âme de Gilda toujours plus haut, s’échappe presque, jusqu’à 45 mètres de hauteur, et la tête de Rigoletto n’est plus qu’un sinistre crâne. Le fantastique pari de Philipp Stölzl et de toute son équipe est gagné !

LAURENT BARTHEL

PHOTO © BREGENZER FESTSPIELE/KARL FORSTER

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