Comptes rendus Sonya Yoncheva en récital à Bad Schussenried
Comptes rendus

Sonya Yoncheva en récital à Bad Schussenried

06/03/2021

Kloster Schussenried/www.metopera.org, 27 février

Alors que, dans l’arrière-boutique, le bras de fer se poursuit entre Peter Gelb et les syndicats, notamment de musiciens, la vitrine du Metropolitan Opera se doit de demeurer rutilante. Pour séduire les mécènes, dont la contribution est plus que jamais indispensable à la survie de l’institution. Et, surtout, pour entretenir le lien avec le public, en attendant la réouverture, espérée fin septembre 2021.

Lancée en juillet dernier, la série « Met Stars Live in Concert » a, en outre, l’avantage de cultiver la relation particulière de la maison avec des artistes triés sur le volet, qu’une invitation à se produire dans un récital diffusé en streaming dans le monde entier ne peut que flatter dans leur sentiment d’appartenance à l’élite lyrique.

Désormais bien rodée, la formule se partage entre deux lieux : un studio new-yorkais, depuis lequel Christine Goerke présente l’événement avec une très réjouissante – fausse ? – spontanéité, qu’elle tente, tant bien que mal, de communiquer au flegmatique directeur général, auquel un enthousiasme surjoué arrache l’esquisse d’un demi-sourire ; et un joyau architectural de la Vieille Europe, où les caméras adoptent le même style « tournoyant » de réalisation que pour les retransmissions en direct dans les cinémas.

C’est entourée des livres de la bibliothèque rococo de l’abbaye de Schussenried, dans le sud du Bade-Wurtemberg, que Sonya Yoncheva a choisi de déployer son art réduit au silence depuis quelques mois déjà, malgré une timide reprise au cours de l’été. L’occasion rêvée, en somme, pour se pencher sur l’état vocal de la soprano bulgare, qui a pu, avant la pandémie, parfois sembler préoccupant. Le programme, aussi ambitieux que périlleux, y invite, en mêlant, dans un désordre assez déroutant, rôles passés, présents et futurs.

Sans doute existe-t-il meilleur tour de chauffe que « Ritorna vincitor », qui peine dès lors à dissiper les doutes sur une première Aida prévue en concert, en juin prochain, sous la direction de Riccardo Muti. L’appui, l’assise, tendent à faire défaut, et l’émission, jadis si naturellement plantureuse sur un ambitus infini, part en arrière dès que se profile le passaggio – à partir du sol, et de façon plus marquée sur les voyelles ouvertes.

L’interprète tarde aussi à se libérer, moins diva au faîte de ses moyens, et drapée, comme il se doit, dans un ample voile de mousseline écarlate, que jeune promesse en train de passer un examen, livrée à ses angoisses dans ce silence assourdissant qui, entre chaque page, amplifie cruellement ses raclements de gorge.

La première aria de Leonora d’Il trovatore, étrennée au disque, rassure sur la tenue du vibrato, encore qu’il se heurte à des si bémol crispés et fibreux, le contre-ut de la cadence étant carrément esquivé. Ce n’est qu’avec Mimi, et un « Donde lieta usci » pourtant non dépourvu d’instabilités, mais enfin ressenti, que Sonya Yoncheva trouve véritablement ses marques avec, dans le timbre, des reflets callassiens – jusqu’à ces touchantes griffures, qui poussent assez loin une forme de mimétisme.

Si les fragilités techniques ne se dissipent pas davantage que des stridences soulignées par les micros – l’attaque, à cet égard rien moins que confortable, du « Un bel di vedremo » de Cio-Cio-San –, Rusalka s’impose, héroïne incarnée et frémissante, à l’instar de la Dido de Purcell et de Thaïs, sans qu’aucune ne se ressemble. Et le « Adieu, notre petite table » de Manon, précédant une « Habanera » de Carmen débraillée, mais d’abord inutile, bouleverse, tant par la justesse de l’accent que par le modelé de la pulpe vocale.

Fallait-il, en revanche, finir avec cet Hymne à l’amour, enlevé dans un geste opératique pour le moins étranger à l’émotion propre au chant d’Édith Piaf ?

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MET OPERA/JÜRGEN HAUSMANN

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