Salle Gaveau, 4 octobre
Quel athlète n’a pas en lui le désir de repousser les limites, de se dépasser, d’aller toujours plus loin dans sa discipline ? Comme lui, l’artiste recherche le défi, veut se surprendre et surprendre son public par ses audaces et son besoin d’exploit.
Ténor à l’ambitus avantageux et aux moyens techniques développés, Michael Spyres n’est pas le premier à vouloir prouver qu’un seul et même organe peut alterner des registres, par essence, opposés. Ce récital dans le cadre de « L’Instant Lyrique », suivant de près la sortie de son album Baritenor chez Erato (voir O. M. n° 176 p. 75 d’octobre 2021), est ainsi un hymne à la vaillance, une ode à la prise de risque et aux bonheurs de mélanger les genres, sans crainte ni complexe.
Le chanteur américain débute avec Les Nuits d’été de Berlioz. Douce et légère dans une Villanelle résolument aérienne, méditative et profonde dans Sur les lagunes, la voix sert une lecture à la fois puissante et personnelle. Malléable et transformable à l’envi, elle réussit le tour de force de n’être ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre à chaque mélodie, ouvrant en une seule note le champ des possibles. D’autant qu’en styliste affûté, Michael Spyres se délecte des vers de Théophile Gautier.
Pétrarque, évoqué par Liszt sous les doigts inspirés du pianiste français Mathieu Pordoy, offre une transition de choix, avant d’aborder une seconde manche tout aussi contrastée, constituée d’airs de l’album précité. Un ténor pour chanter les interrogations du Comte Almaviva (Le nozze di Figaro), dans une version remaniée de « Hai già vinta la causa ! » ? Rien ne s’y oppose, si le ténor en question possède la couleur barytonale du personnage, reproduit son élégance et sa vivacité d’esprit, et traduit la noblesse de son caractère.
La démonstration se poursuit avec l’air de Figaro (Il barbiere di Siviglia). Vous doutez qu’un ténor puisse se glisser dans la peau d’un baryton ? Eh bien, écoutez Michael Spyres, qui démontre en un éclair qu’il est l’homme de la situation ! Volubile, imaginatif, il est, comme au disque, un factotum d’anthologie.
À sa place en Don Giovanni aigu et séducteur, celui de « Deh, vieni alla finestra », il termine avec l’air acrobatique de Chapelou (Le Postillon de Lonjumeau), brillamment rendu, suivi par celui de Tonio (La Fille du régiment), dont les contre-ut, alignés comme des trophées, semblent lui donner des ailes.
En deuxième bis, Michael Spyres se fait canaille dans « O Vaterland… Da geh’ ich zu Maxim », extrait de Die lustige Witwe, avant de conclure avec une rareté anglaise pour laquelle Mathieu Pordoy, formidable accompagnateur, donne la réplique à cet artiste aussi étonnant qu’ambigu.
Une réussite, saluée par un public venu nettement plus nombreux que pour Barbara Hannigan et ses protégés, une semaine plus tôt (voir plus haut).
FRANÇOIS LESUEUR
© CÉDRIC LE DANTEC/AGENCE SUPERNOVA