Badisches Staatstheater, 22 février
Dans l’abondante production de Haendel, le livret de Serse (Londres, 1738) n’a pas vraiment d’originalité : un monarque volage qui a des visées sur la personne qu’il ne faut pas, en l’occurrence l’amante de son frère, plus deux soupirantes éconduites venant constamment perturber le jeu… L’imbroglio pourrait se passer à n’importe quelle époque. Cela dit, l’affaire est quand même plus épicée qu’il n’y paraît, car Serse est aussi un opéra finement parodique, où le compositeur s’amuse volontiers à révéler le dos des cartes, mélanger les genres, voire s’autocaricaturer.
Fort de ces constatations, le contre-ténor et metteur en scène croate Max Emanuel Cencic transpose l’ouvrage dans une moderne Las Vegas de fantaisie. Le roi de Perse y est la vedette incontestée du Serse Show, grand spectacle qui révèle aussi, à l’occasion, de jeunes talents – dont la jolie et ambitieuse Romilda, qui a donc quelque intérêt à se montrer consentante aux avances du maître des lieux, bien que son cœur soit déjà pris ailleurs.
Propriétaire d’une luxueuse villa avec piscine, lieu de chaudes parties en maillot de bain, Serse cultive d’impayables dégaines de star égocentrique, à grand renfort d’attitudes maniérées, de costumes à paillettes et de trucs en plumes. D’autres scènes nous le montreront dans divers lieux de la capitale du plaisir : réunion marketing chez son producteur de disques, virées incognito dans des boîtes de nuit branchées, voire excursions dans des lieux plus interlopes, avec prostitution des deux sexes à disposition…
Le tout est très loufoquement caractérisé, au prix parfois d’un peu de lourdeur (fallait-il vraiment réactualiser à ce point le surtitrage, qui n’a plus qu’un lointain rapport avec le texte chanté ?) et au risque, bien assumé, de parasiter la perception de la musique par un excès de figuration. En tout cas, on ne s’ennuie pas une seconde, et surtout pas quand Franco Fagioli investit le rôle-titre avec une présence scénique aussi énorme.
Depuis le célèbre « Ombra mai fu », où il s’accompagne lui-même au piano dans un esprit délicieusement kitsch, jusqu’à quelques moments de pur délire (multiples arrivées fracassantes en habit de lumière, voire strip-tease en caleçon…), le contre-ténor argentin capte tous les regards. Quant à son agilité vocale, qui s’étale sur largement plus de trois octaves, elle paraît impossible à épuiser, même dans l’intense « Crude furie » final.
Max Emanuel Cencic s’est réservé le rôle d’Arsamene, frère de Serse, écrit à l’origine pour une chanteuse et non un castrat : un emploi plus délicat, où son timbre chaleureux et son sens de l’élégie révèlent de merveilleux moments. Gracieuse Romilda de la soprano américaine Lauren Snouffer, en total contraste avec les deux autres prétendantes obstinées, Amastre et Atalanta, au chant valeureux, mais dont la mise en scène surcharge peut-être trop la vis comica.
En fosse, le chef grec George Petrou gère, avec une superbe efficacité, un ensemble Deutsche Händel-Solisten en formation assez large. Résultat global : presque quatre longues heures d’un spectacle brillant, où l’on ne voit jamais le temps passer.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © FALK VON TRAUBENBERG