Opéra National du Rhin, 18 octobre
Pour cette création de Rusalka (Prague, 1901) à l’Opéra National du Rhin, en coproduction avec l’Opéra de Limoges, Nicola Raab n’a malheureusement pas assuré un propos cohérent et convaincant.
Deux « voyages intérieurs » supposés : celui du Prince et celui de Rusalka. La metteuse en scène explique : « Volontairement le développement narratif que je veux mettre en place ne sera pas entièrement linéaire. Et toutes les énigmes de ces voyages ne seront pas résolues… » C’est le moins qu’on puisse dire ! Car un usage intensif et passablement déséquilibré des vidéos expose, entre autres, une seconde action, placée dans le monde contemporain, et dont le prosaïsme interfère fâcheusement avec les moments les plus lyriques, pour en contredire ou en annuler l’effet. Et le propos exact échappe.
Malgré la profusion des vues aquatiques, à commencer par ce plongeon initial quasiment olympique, du haut d’une gigantesque falaise, qui doit représenter le saut du Prince dans son lac, et la beauté en soi de certaines images, autant de détournements ou de dérivatifs qui brouillent les pistes sans bénéfice perceptible. L’essentiel manque : une vraie direction d’acteurs, qui aurait dessiné des personnages et tissé entre eux une action véritablement dramatique, alors qu’ici, chacun est laissé à lui-même, dans une mise en place très statique, et qui jamais ne suscite l’émotion.
Même pour ce qui pourrait être au moins le pittoresque : Jezibaba est une simple infirmière qui, pour tout sortilège, enduit son visage d’onguent ; au II – occupé entièrement par un défilé d’images de nature riante dans la large ouverture qui fait le fond d’une unique pièce blanche, et par laquelle le Garde-chasse pêche des poissons que les Dryades dévoreront tout crus au III ! –, la fête ne trouve d’écho que dans la fosse, et le chœur placé dans l’ombre, immobile, sur les côtés de la scène…
De cet amphigourisme vite lassant, les chanteurs se dégagent avec plus ou moins de bonheur. Avec des wagnériens d’abord, dont la présence n’est peut-être pas totalement pertinente. Bryan Register – un Lohengrin, un Siegmund, un Tristan – affiche un aigu lumineux particulièrement puissant et percutant, moins à l’aise au-dessous, pour ce qui devrait être un lyrisme plus léger et délié. Et l’acteur, abandonné à lui-même, incarne un Prince trop peu séduisant.
Même chose pour Attila Jun – Hagen à Bayreuth, et Marke ici même, en 2015 –, qui livre une nouvelle fois sa basse abyssale, pourtant nettement moins en situation en Vodnik, et avec un vibrato devenu non moins imposant. À côté de la Princesse étrangère de Rebecca von Lipinski, vocalement aussi dure que son strict costume à pantalon blanc et la raideur qui lui est imposée en scène, on s’enchante, en revanche, de la Jezibaba d’une Patricia Bardon en très belle forme.
Satisfaction, encore, avec les rôles tenus par les membres de l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin : le joli Marmiton de Claire Péron, et Julie Goussot et Eugénie Joneau, deux des Dryades d’un trio homogène.
Quant à Pumeza Matshikiza, qui a effectué ses débuts en Rusalka, la saison dernière, à Klagenfurt, elle nous laisse un peu perplexe : les aigus se déploient avec facilité et puissance, sans tout à fait la pureté et la transparence qu’on attend pour le personnage, privant le célèbre « Chant à la lune » ou l’air d’entrée du III de leur plein effet ; et le reste du registre, où manque l’homogénéité de timbre, est trop facilement couvert par l’orchestre. On attend aussi de voir l’actrice se déployer dans de meilleures conditions.
Antony Hermus nous avait séduit par son énergie, lors de sa première venue in loco pour la reprise de La Petite Renarde rusée, en 2016. Pour compenser peut-être le discours erratique de la scène, son énergie confine cette fois à la nervosité, voire à la brutalité, avec un Orchestre Philharmonique de Strasbourg débridé et pas toujours impeccable.
Cette entrée de Rusalka au répertoire de l’Opéra National du Rhin se sera donc effectuée plutôt à reculons…
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © KLARA BECK