Théâtre de l’Archevêché, 5 juillet
Romeo Castellucci n’est pas metteur en scène d’opéra. Il est artiste, à tendance démiurge, poète, philosophe, et à ce titre ne se préoccupe pas de théâtre lyrique – Orfeo ed Euridice, Moses und Aron, Die Zauberflöte l’ont prouvé, à des degrés divers, et même Parsifal. Ses spectacles, qui tiennent sans doute davantage, et de plus en plus, de l’installation et de la performance, interrogent d’une façon singulière, parfois hermétique, la notion même de représentation, en confrontant le public à la réalité du vieillissement, de la maladie, de la difformité, en somme de tout ce que nous préférons ne pas voir.
Que montrer dans le Requiem de Mozart, dont le montage musical réalisé par Raphaël Pichon, en ajoutant des pièces sacrées et profanes du compositeur ainsi que des chants grégoriens, double la durée ? Une vieille femme regarde la télévision en fumant une cigarette, sent une orange, la fait rouler sur le sol, se couche. Quelques secondes plus tard, elle a disparu, comme absorbée par son lit. Est-ce cela la mort ? Mais de ce lit tombe une seconde femme, plus jeune. Est-ce une renaissance, un symbole du cycle de la vie ?
Le noir profond dont la scène était drapée laisse la place au blanc. Bientôt à la couleur. Et sur le mur du fond, Romeo Castellucci projette un « Atlas des Grandes Extinctions » : faune, flore, villes, œuvres d’art défilent avec une régularité horlogère. Trois vieillards nus avancent dans la pénombre, et se réunissent autour d’un feu. Un enfant joue au foot avec un crâne. Mais surtout, le chœur danse. Comme un rituel archaïque, païen, une sorte de sacre du printemps.
Des danses folkloriques, des Balkans ou d’ailleurs, dont les traditions perdurent, qu’il s’agisse d’agiter des mouchoirs ou d’enrouler des rubans autour d’un mât. Pour contrebalancer, peut-être, tout ce qui disparaît. Face à notre finitude, célébrer la vie devient une nécessité. Car la mort, sans cesse, se rappelle à nous – à travers, par exemple, la citation fugace d’une mise au tombeau, et ces corps qui viennent se fracasser sur une carcasse de voiture.
Il n’est plus question, d’ailleurs, de ce qui a déjà disparu, mais de tout ce qui est voué à disparaître – la montagne Sainte-Victoire, la cathédrale Saint-Sauveur, l’Archevêché, l’herbe, le chant des grillons dans la nuit… jusqu’à l’amour et au verbe être. Les corps d’abord alignés se dénudent, humanité souffrante, comme au jour du Jugement dernier. Et le plateau bascule, rejetant ses déchets.
Ce pourrait être la fin des temps. Mais une voix d’enfant résonne dans l’obscurité. Pendant qu’il chante un In paradisum avec une ineffable pureté, quatre femmes, de tous les âges, amènent un bébé, le déposent, et repartent. Il est seul, il nous regarde, telle une lueur d’espoir. À moins que…
Avouera-t-on que, pour parvenir à cette dernière image, on aura dû vaincre la lassitude, puis l’ennui d’une trop longue soirée ? Il arrive, chez Romeo Castellucci, que la beauté plastique se heurte à des accès de naïveté, ou des excès de prétention, que le creuset de formes artistiques tende à virer au fourre-tout, que la réalisation, en dépit de sa perfection, paraisse un peu vaine. À moins que nous ne soyons simplement insensible au travail du metteur en scène italien.
Impossible de l’être, en revanche, à une partie musicale d’une expressivité jamais forcée. Raphaël Pichon a su dompter, comme rarement, l’acoustique récalcitrante de l’Archevêché, où l’orchestre Pygmalion sonne avec une présence et une rondeur auxquelles les ensembles spécialisés, même les plus aguerris, n’ont pu qu’aspirer.
Si le quatuor de solistes s’avère idoine, le chœur Pygmalion assume le défi du mouvement quasi perpétuel que lui impose la chorégraphie, avec une qualité de son et une cohésion qui laissent transi d’admiration.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © PASCAL VICTOR/ARTCOMPRESS