Salle Favart, 12 décembre
Voici dix ans, jour pour jour, l’Opéra-Comique mettait à l’affiche cette production de Fortunio (voir O. M. n° 48 p. 61 de février 2010). On peut dire, sans mentir, qu’elle a bien vieilli.
La mise en scène respectueuse de Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-Française, est celle d’un homme de théâtre, animée, sans temps mort, servie par une direction d’acteurs d’une rare précision, et créant avec justesse l’atmosphère douce-amère de cette « comédie lyrique », dans laquelle le sourire s’ourle souvent de mélancolie.
Les décors d’Éric Ruf évoquent une ville de garnison des années 1900, telle que l’on peut se l’imaginer – peut-être celle où se déroulent Les Grandes Manœuvres de René Clair ; ils traduisent, non sans poésie, l’ennui discret de la province. Les bruns, les blancs et les gris des costumes imaginés par Christian Lacroix s’accordent avec ce monde un peu terne, sur lequel les pantalons garance des militaires se détachent avec insolence.
Louis Langrée est à nouveau dans la fosse, à la tête, cette fois, de l’Orchestre des Champs-Élysées : une direction vivante, qui maintient avec souplesse la continuité du discours, capable d’éclat, mais aussi de lyrisme et de tendresse. Le chœur Les Éléments est là, lui aussi, et demeure remarquable.
Des principaux rôles de la distribution d’origine, Jean-Sébastien Bou est le seul rescapé, toujours épatant en Clavaroche, et très en voix. Franck Leguérinel offre une savoureuse composition de vieux cocu. Tous les autres sont impeccables, notamment Luc Bertin-Hugault en Subtil et la jeune Aliénor Feix, Madelon au chant péremptoire.
Mais toute la salle n’a d’yeux que pour la Jacqueline d’Anne-Catherine Gillet, au charme juvénile et vocalement brillante. Quant à Cyrille Dubois, il est physiquement et musicalement un Fortunio idéal, phrasant délicieusement son « J’aimais la vieille maison grise », avec la grâce ingénue de celui qui découvre l’amour.
Une jolie soirée, à la hauteur d’une partition qu’on peut qualifier de chef-d’œuvre.
MICHEL PAROUTY
PHOTO © STEFAN BRION