Royal Opera House, Covent Garden, 17 mai
Le Covent Garden a enfin rouvert ses portes, fermées au public depuis le 16 mars 2020. Il a choisi de le faire avec une nouvelle production de La clemenza di Tito, la deuxième dans l’histoire de la compagnie, après celle d’avril 1974, signée Anthony Besch et John Stoddart, qui contribua à imposer l’ultime « opera seria » de Mozart au répertoire (les spectacles de Karl-Ernst et Ursel Herrmann, puis de Stephen Lawless, vus respectivement en 2000 et 2002, avaient été créés dans d’autres théâtres).
En plus de trente années de carrière à l’opéra, Richard Jones s’est imposé comme l’un des metteurs en scène britanniques les plus actifs à travers le monde. À l’heure actuelle, son principal projet est une nouvelle lecture de Der Ring des Nibelungen, coproduction entre l’English National Opera et le Metropolitan Opera de New York, dont le premier volet, Die Walküre, sera présenté à Londres, en novembre prochain. Sans doute son énergie est-elle d’ores et déjà concentrée sur cette entreprise, tant sa vision de La clemenza di Tito trahit le manque d’idées originales et/ou pertinentes.
L’atmosphère générale est celle d’un drame politique moderne, dans des décors et costumes d’Ultz, mêlant néoclassicisme et références à notre époque. Pendant l’Ouverture et l’essentiel de la scène 1, Richard Jones se focalise sur la présence muette de Berenice, l’épouse répudiée de Tito (jouée par la danseuse Fumi Kaneko), qui quitte finalement le plateau après avoir giflé Publio, non plus chef de la garde prétorienne mais tribun de la plèbe, coupable de l’avoir rejetée comme impératrice.
Dans l’intervalle, Sesto a fait son entrée, attaquant vedette dans une équipe de football, dont on retrouvera plus tard l’ensemble des joueurs, devenus conspirateurs, vêtus de sweats à capuche, le couteau à la main. Pourquoi pas ? Sauf que la métaphore du ballon rond tourne court et ne débouche sur rien de signifiant, excepté à la fin, quand les poteaux de but deviennent potence pour l’imminente exécution de Sesto.
On retrouve là le goût de Richard Jones pour l’humour noir, qui fait toujours mouche. Mais on en est plus que rassasié, au bout de trente ans ! Pour le reste, le metteur en scène n’approfondit pas les liens d’amitié entre Tito et Sesto, ni entre ce dernier et Annio, et pas davantage les relations que ces trois hommes entretiennent avec Servilia, devenue propriétaire d’une boutique vendant des pâtes et des fruits en conserve.
Vitellia le motive davantage, raison pour laquelle, sans doute, Nicole Chevalier est la seule à occuper le plateau de manière convaincante, malgré quelques difficultés passagères à soutenir la tessiture redoutablement étendue du rôle. Dans « Non più di fiori », en particulier, le grave se dérobe.
Ses partenaires chantent de manière le plus souvent adéquate, mais sans jamais faire passer le frisson. D’une crédibilité absolue en footballeur athlétique et juvénile, Emily D’Angelo, en débuts au Covent Garden, manque de projection dans le bas du registre, au point que l’on se demande si elle n’aurait pas mieux fait d’échanger le rôle de Sesto avec Angela Brower, délicieux Annio.
Edgaras Montvidas offre un Tito d’une autorité et d’une stature qui en imposent. Sa voix, malheureusement, est davantage celle d’un ténor de caractère que d’un premier rôle mozartien. Christina Gansch est une Servilia bien chantante, Joshua Bloom tirant le maximum des opportunités laissées à Publio par le compositeur et son librettiste.
Mark Wigglesworth, au pupitre, privilégie la transparence des textures ; il encourage clarinette et cor de basset à se surpasser dans l’accompagnement des airs de Sesto et Vitellia. Certains tempi, pourtant, comme celui de « Deh, per questo istante solo », semblent mettre en difficulté les chanteurs, et l’orchestre donne l’impression de jouer en sourdine, sans doute pour ne pas couvrir des voix un peu justes pour une salle aussi vaste.
Satisfaction, donc, de revoir de l’opéra sur le vif au Covent Garden, mais bilan d’ensemble décevant.
HUGH CANNING
PHOTO © CLIVE BARDA