Messiah de Haendel
La Grange au Lac, 26 juin
« Une interprétation se doit avant tout d’être sincère et convaincue », lance Christophe Rousset, en accroche d’un entretien publié dans l’excellent programme de salle du concert d’ouverture des Rencontres Musicales d’Évian, cuvée 2021. Celle qu’il propose du Messie l’est incontestablement.
Elle repose sur des partis pris que l’on peut discuter : effectifs réduits (dix-huit choristes, vingt-quatre instrumentistes) ; priorité accordée à la mise en valeur du texte ; refus de toute théâtralité. Mais nul ne saurait contester la cohérence avec laquelle elle est défendue.
Souvent taxé de raideur, Christophe Rousset fait preuve d’énormément de souplesse dans sa direction, mais à l’intérieur d’un cadre strictement délimité au départ. Et c’est justement ce cadre qui, séquence après séquence, finit par paraître trop contraignant – à nos oreilles, du moins.
On admire l’extraordinaire virtuosité de l’orfèvre et de sa phalange (exceptionnels Talens Lyriques !), mais on reste plus d’une fois à la porte, en termes d’émotion. Il suffirait d’un rien, sauf que ce rien n’arrive jamais. Sans doute parce que s’abandonner, ne serait-ce qu’une seconde, reviendrait à compromettre l’édifice si minutieusement construit.
La manière de chanter du merveilleux Chœur de Chambre de Namur, dirigé par Thibaut Lenaerts, s’en ressent. La qualité des voix, l’homogénéité des timbres, la superposition des entrées dans les fugues, la variété des nuances tiennent du miracle. Le tout sonne, néanmoins, un rien trop contrôlé, trop corseté.
Même chose pour le quatuor soliste, à l’exception de Nahuel Di Pierro, qui apporte à l’ensemble une chaleur bienvenue, grâce à une voix naturellement corsée et à une expression fondamentalement opératique. À l’opposé, Amanda Forsythe cultive les sonorités les plus enfantines de son timbre pour se transformer en instrument, ductile certes, mais désincarné.
Idem pour l’excellent Jason Bridges, à l’émission très haut placée, qui ne cherche pas à s’investir dramatiquement, quitte à paraître excessivement en retrait. Et pour le parfait Christopher Lowrey, qui réussit tout de même à insuffler un zeste de tragédie dans le sublime « He was despised », enrichi de savoureuses cadences de la main de Christophe Rousset.
Un concert qui confirme à quel point le fondateur des Talens Lyriques, même quand on n’est pas d’accord avec lui, demeure l’un des plus captivants chefs du moment pour le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles.
Juan Diego Florez
La Grange au Lac, 27 juin
Que peut-on écrire que nous n’ayons déjà écrit, en dernier lieu après le concert offert au Festival « Castell de Peralada », en août 2019 (voir O. M. n° 154 p. 55 d’octobre) ? Ce récital aux Rencontres Musicales d’Évian, salué par une salle en délire, apporte une double confirmation : la voix est intacte, comme si Juan Diego Florez n’avait pas vingt-cinq années de carrière derrière lui ; et elle ne changera plus, quelle que soit l’envie du ténor péruvien de se mesurer à des rôles plus lourds que ceux ayant fait sa gloire.
Les deux Rossini placés en ouverture (Il Signor Bruschino, La pietra del paragone) ont quelque chose de rassurant, à l’approche du retour à Il barbiere di Siviglia, dans une nouvelle production du Staatsoper de Vienne, le 28 septembre : le timbre est toujours aussi accrocheur, et la virtuosité transcendante.
Pris dans un tempo trop lent, L’elisir d’amore (« Una furtiva lagrima ») émeut néanmoins, avec un contrôle du souffle qui demeure impressionnant, avant un autre Donizetti, encore plus bouleversant : Lucia di Lammermoor. Le récitatif (« Tombe degli avi miei… » ) est un authentique miracle d’intelligence du texte, tant littéraire que musical.
La traviata, en fin de première partie, confirme ce que nous savions déjà : Juan Diego Florez reste, envers et contre tout, un tenore contraltino, donc trop léger pour traduire la véhémence d’Alfredo dans la cabalette « O mio rimorso ! ». Ce que ne font pas complètement oublier la pertinence de l’accent dans le récitatif (« Lunge da lei… »), ni l’irrésistible tendresse du phrasé dans la cavatine (« De’ miei bollenti spiriti »).
Les airs français de la deuxième partie, qui figurent depuis un certain temps au répertoire du ténor, sont toujours un régal. En particulier, Werther (« Pourquoi me réveiller »), devenu l’un des rôles fétiches de l’artiste à la scène, où la référence à Alfredo Kraus s’impose plus que jamais.
Les deux Puccini qui terminent ne réservent pas davantage de surprises : un Rinuccio de Gianni Schicchi (« Avete torto !… Firenze è come un albero fiorito ») éblouissant de jeunesse et d’ardeur ; un Rodolfo de La Bohème (« Che gelida manina ! ») au contre-ut précis, mais sans l’ampleur nécessaire dans la projection.
Archi-connus, les cinq bis font, à juste titre, chavirer l’assistance, Juan Diego Florez ayant de longue date peaufiné son numéro de chanteur de charme. Comment ne pas succomber, même si c’est pour la énième fois, à la chanson Cucurrucucu paloma, pour laquelle il s’accompagne lui-même à la guitare ?
Demeure une question. Pourquoi un ténor aussi doué, bon déchiffreur et styliste incomparable, ne cherche-t-il pas à varier davantage ses programmes de récital ? D’une salle à l’autre, depuis une bonne dizaine d’années, ce sont toujours les mêmes airs que l’on entend, moyennant quelques changements à la marge.
À quand des extraits de titres rares de Bellini, Donizetti, Pacini, Mercadante ? Ou, dans l’opéra français, les sublimes « Sainte amitié que j’offense » (Gustave III d’Auber) et « Ô chère et vivante image ! » (Cinq-Mars de Gounod) ? Voire, s’agissant d’un chanteur hispanophone, des mélodies puisées dans le répertoire espagnol et sud-américain ?
De la première à la dernière note, le fidèle Vincenzo Scalera se montre un accompagnateur rigoureux et sensible. On apprécie également le talent avec lequel il transforme les pièces pour piano seul, a priori simples interludes, en vrais moments de théâtre (splendide transcription de l’Intermezzo de Cavalleria rusticana !).
RICHARD MARTET