Comptes rendus Reines donizettiennes à Amsterdam
Comptes rendus

Reines donizettiennes à Amsterdam

16/06/2021

De Nationale Opera/www.operaballet.nl, 16 mai

Les « reines Tudor » de Donizetti ont le vent en poupe. Les représentations des trois opéras concernés se multiplient, tout comme les programmes d’extraits : le concert The Three Queens, promené par Sondra Radvanovsky sur différentes scènes, depuis 2019 ; l’album Tudor Queens de Diana Damrau, paru chez Erato, en 2020… pour citer les plus récents. Beverly Sills, première à tenter l’aventure au disque, au tournant des années 1960-1970, n’imaginait sans doute pas faire autant d’émules !

Et voici que Marina Rebeka se lance dans la compétition, avec un concert à huis clos, au De Nationale Opera d’Amsterdam, retransmis en streaming sur le site de la maison, du 16 au 18 mai. Sauf que, cette fois, le programme n’enchaîne pas les scènes finales d’Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux, mais propose une heure quarante-cinq d’extraits divers, entrecoupés de quelques minutes filmées pendant les répétitions, mais aussi de brèves interventions du chef et de la metteuse en scène.

En effet, il ne s’agit pas de mettre particulièrement en valeur la soprano lettone, mais de donner envie au public de se précipiter aux représentations du « cycle », prévues à Amsterdam sur les trois prochaines saisons, avec le même chef (Enrique Mazzola), la même metteuse en scène (Jetske Mijnssen) et les mêmes chanteurs. Marina Rebeka sera ainsi Anna Bolena, Maria Stuarda et Elisabetta de Roberto Devereux, face à J’Nai Bridges en Giovanna Seymour, Elisabetta de Maria Stuarda et Sara, le ténor Ismael Jordi incarnant Percy, Leicester et Roberto Devereux.

Ce concert ne permet évidemment pas de se faire une idée du travail de Jetske Mijnssen : orchestre sur le plateau ; solistes alignés de part et d’autre du pupitre, sans l’ombre d’une mise en espace ; chœurs espacés au parterre. En revanche, l’Ouverture de Roberto Devereux, le splendide prélude introduisant la scène finale de Maria Stuarda, la poésie (dans les passages lents) et l’énergie (dans les mouvements rapides) dont Enrique Mazzola fait preuve dans les airs, duos et ensembles, sont la marque d’un grand chef donizettien.

Bravo, ensuite, à l’orchestre (Nederlands Kamerorkest) et aux chœurs (De Nationale Opera). Ces derniers, en particulier, sont absolument somptueux de cohésion et de beauté dans le rendu sonore. Quant aux solistes, ils sont à la hauteur de l’enjeu, à une exception près : vrai mezzo, J’Nai Bridges, prise au piège de l’écriture très sopranisante des trois rôles qu’elle sera appelée à incarner, ne parvient pas à équilibrer ses registres et accumule les défauts d’intonation.

Bien mis en valeur par le programme, Ismael Jordi n’a rien perdu de ses qualités, ni de ses défauts : voix foncièrement légère (trop pour Roberto Devereux), assez nasale, compensée par un sens du phrasé et des nuances, un engagement, une émotion qui le rendent très crédible dans le redoutable air de Percy, au dernier acte d’Anna Bolena (« Vivi tu… Nel veder la tua costanza »).

Prévu seulement dans Anna Bolena, Roberto Tagliavini se confirme une exceptionnelle basse belcantiste : la beauté du timbre, l’autorité de l’accent coupent littéralement le souffle, au I, dans le duo d’Enrico VIII avec Giovanna Seymour, puis dans le finale. Mais la vedette revient, comme il se doit, à la prima donna.

Dès le duo du I de Roberto Devereux (« Un tenero core »), face à Ismael Jordi, Marina Rebeka apparaît dans une forme éblouissante : timbre charmeur, pianissimi de rêve, phrasé raffiné. La cabalette, surtout (« Un lampo, un lampo orribile »), révèle à quel point la voix a gagné en densité et en épaisseur dans le bas médium et le grave, ainsi qu’en agressivité dans l’émission.

Avec Maria Stuarda, la température monte d’un cran : un finale du II (à partir de « Deh ! l’accogli ») électrisant, avec une reine d’Écosse impressionnante de violence, mais sans aucun excès expressionniste, dans son célèbre affrontement avec Elisabetta (« Figlia impura di Bolena ») ; et une prière du III (« Deh ! tu di un’umile preghiera ») d’un souffle et d’une émotion irrésistibles. Dommage que le déroulé du concert nous prive de la cabalette qui suit.

Anna Bolena, enfin, confirme que la « trilogie Tudor » a trouvé une nouvelle interprète de très haut vol. Dans le finale du I, Marina Rebeka tire les larmes (« In quegli sguardi impresso »), avant d’exploser dans un étreignant « Giudici… ad Anna ! », puis un sidérant « Ah ! segnata è la mia sorte », couronné d’un contre-ré « sutherlandesque ».

En conclusion, « Al dolce guidami », hélas sans son récitatif introductif (« Piangete voi ? »), pourrait être enrichi de davantage de filati. Mais quel aplomb dans les terrifiantes descentes dans le grave de « Coppia iniqua » et quelle défonce sur le contre-mi bémol final, interpolé dans le feu de l’action et lancé avec une folie dévastatrice !

RICHARD MARTET

PHOTO © DUTCH NATIONAL OPERA/BEN VAN DUIN

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