Comptes rendus Qui pour l’Opéra de Paris ?
Comptes rendus

Qui pour l’Opéra de Paris ?

20/11/2018

L’éditorial de Richard Martet (numéro de décembre, à paraître le 29 novembre)

« Urgence », avais-je intitulé mon éditorial du numéro 143 d’Opéra Magazine, daté d’octobre 2018, consacré à la nomination du futur directeur de l’Opéra National de Paris. Deux mois se sont écoulés et l’on ne connaît toujours pas son nom. Entre-temps, la machine à rumeurs s’est emballée, alimentant de nombreux articles spéculatifs, dans la presse écrite comme sur internet, dont le clou est toujours la liste des prétendants potentiels, au besoin enrichie de leurs points forts et… faibles !

Que cherche-t-on exactement ? Une personnalité reconnue sur le plan international, ayant l’expérience de la gestion au quotidien d’une grande maison (1 878 salariés à l’ONP !), sachant attirer les mécènes et capable d’impulser une politique artistique à la fois innovante et respectueuse de la dimension patrimoniale de la première scène nationale, en faisant la part belle aux artistes français comme aux vedettes étrangères.

Au vu de ces prérequis, une chose me saute aux yeux : aucune figure ne s’est jusqu’ici imposée avec une évidence telle que le match serait joué d’avance. Qui alors ? Je me suis livré, moi aussi, au petit jeu de la prospective, en éliminant ceux dont je sais qu’ils sont heureux d’être là où ils sont, ceux qui viennent d’être nommés ailleurs et n’ont aucune envie – ou aucun avantage – à faire machine arrière, ceux dont le profil est uniquement artistique ou gestionnaire, et ceux qui, vu leur âge, ont tout intérêt à passer leur tour cette fois, en se préparant pour l’échéance suivante.

Quel nom se détache ? Celui de Dominique Meyer. Actuel directeur du Staatsoper de Vienne, il quittera ses fonctions en 2020 et sera donc libre, le 1er août 2021, quand débutera le mandat du successeur de Stéphane Lissner. Son parcours est on ne peut plus international (Lausanne et le Théâtre des Champs-Élysées avant Vienne), à chaque fois en tant que directeur général, cumulant fonctions administratives, financières et artistiques.

Le Staatsoper joue tous les soirs, ou presque, pendant dix mois, de l’opéra comme du ballet, en alternant nouvelles productions et reprises : difficile de trouver mieux côté expérience du quotidien. En plus, Dominique Meyer a déjà dirigé l’ONP en 1989-1990, au moment de l’ouverture de l’Opéra Bastille. Il connaît donc la maison, ses particularismes statutaires comme ses habitudes de fonctionnement.

Dans tous les articles, son âge est présenté comme un obstacle. Né le 8 août 1955, il aura 65 ans, le 1er août 2021. Contrairement à ce que j’ai lu à droite à gauche, cela n’interdit pas de le nommer. Les textes spécifient, en effet, que si le directeur de l’Opéra atteint la limite d’âge, fixée à 67 ans, dans le cours de son mandat, d’une durée de six ans, il peut aller jusqu’au bout de celui-ci. Dominique Meyer atteindrait cette limite le 8 août 2022 et quitterait ses fonctions le 31 juillet 2027 – au passage, on comprend ce qui a coincé pour Stéphane Lissner, né le 23 janvier 1953, qui ne pouvait être prolongé puisqu’il aurait dépassé la limite d’âge avant d’avoir commencé son nouveau mandat.

Reste la question des orientations artistiques. Dominique Meyer n’a pas une réputation d’iconoclaste, ni de conservateur. Il se situe plutôt au milieu, en faisant preuve d’un solide pragmatisme – ce qui peut être vu comme un atout ou un handicap, selon ce que l’on attend d’une programmation à l’Opéra de Paris. De toute façon, il y aura toujours des mécontents, le public de l’ONP, contrairement à celui d’autres théâtres, ne se rangeant pas massivement dans le camp progressiste ou traditionaliste.

La liste des défis qui attend l’arrivant est énorme : politique tarifaire, éducation et renouvellement du public (le pourcentage des moins de 28 ans augmente doucement, mais 16,8 %, c’est encore trop peu), augmentation de la part du mécénat dans les recettes par rapport à la subvention de l’État (Stéphane Lissner a déjà fait beaucoup en la matière et il faut continuer), négociation des conditions du maintien de la paix sociale dans un contexte global d’antagonisation des rapports, au travail comme dans la vie quotidienne (histoire d’éviter les mouvements de grève qui, à intervalles réguliers, entraînent l’annulation de représentations)…

Au moment où j’écris ces lignes, j’espère de tout cœur que la situation va se débloquer au plus vite. Car, au risque de me répéter, 2021, c’est demain, et l’urgence augmente chaque jour !

RICHARD MARTET

PHOTOS : Dominique Meyer. © WIENER STAATSOPER/MICHAEL PÖHN

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