À quoi le début de saison va-t-il ressembler ? Voilà la question qui est dans toutes les têtes, à l’heure où l’épidémie de Covid-19 donne des signes de reprise. Comme le révèle l’enquête que nous publions en page 14, les situations à travers le monde sont on ne peut plus diverses.
En Amérique du Nord et à Londres, les grandes compagnies d’opéra gardent porte close, au moins jusqu’à début 2021, sauf pour quelques concerts. Cela a le mérite de la clarté, mais voir le Covent Garden, l’ENO, le Met, Chicago, Los Angeles, San Francisco, Toronto… fermés en même temps, a quelque chose de déprimant.
Sur le continent européen, l’heure est à la réouverture prudente. Tout le monde, d’abord, ne reprend pas en septembre, préférant attendre octobre, voire novembre, dans l’espoir d’en savoir davantage sur l’évolution de l’épidémie. On note, ensuite, beaucoup d’opéras en concert et, quand il y a mise en scène, le choix fréquent de titres ne mobilisant pas d’importantes forces chorales ou orchestrales. Mais rien n’est réglé pour autant, et les incertitudes sont multiples.
Côté plateau, en premier lieu. Comment répéter, puis jouer et chanter, en respectant les règles sanitaires mises en place dans tous les pays ? Certains ont reçu des réponses claires de leurs tutelles, d’autres pas. Côté salle, en second lieu. Combien de spectateurs a-t-on le droit d’accueillir ? Comment faut-il les espacer ? Doivent-ils garder le masque une fois assis à leur place ?
Autant de questions auxquelles chaque maison tente d’apporter une réponse, en fonction des consignes des pouvoirs publics. Concernant la jauge, par exemple, elle varie beaucoup. Le Festspielhaus de Baden-Baden, qui peut contenir 2 500 personnes, en recevra 500 (soit 20 %) dans un premier temps. Refusant d’accueillir seulement 200 spectateurs, limite maximale qui lui serait autorisée, le Teatro Comunale de Bologne (1 034 places) vient de terminer l’aménagement du PalaDozza, palais des sports qui lui permettra de jouer devant 1 000 personnes.
En France, les professionnels du spectacle espèrent beaucoup des rencontres que Roselyne Bachelot, nouvelle ministre de la Culture, entame avec eux le 18 août. En attendant, parmi les théâtres ouvrant en septembre, le Capitole de Toulouse, modèle de pragmatisme, a commencé à vendre des places à l’unité pour son Cosi fan tutte (qui remplace Les Pêcheurs de perles, titre initialement prévu), avec une jauge fixée à 65 %.
L’exemple des festivals ayant maintenu une programmation cet été – dont vous trouverez le début des comptes rendus dans ce numéro – peut servir aux directeurs encore dans l’expectative. Même si les conditions d’un concert ou d’une représentation en plein air ont peu à voir avec celles d’une salle fermée, quelques leçons peuvent en être tirées. À commencer par la réponse favorable du public, venu nombreux dans la limite des places mises en vente.
Pour tous ceux qui n’avaient pas la possibilité de se rendre dans les festivals, il restait internet et la télévision. Beaucoup de rediffusions, ainsi que des programmes originaux sur la toile, tellement multiples que je n’entrerai pas dans leur détail ici. Peu de choses, en revanche, sur les chaînes généralistes (François Lehel rendra compte, le mois prochain, du Cosi fan tutte de Salzbourg, diffusé sur Arte, le 2 août), mais au moins deux soirées qui méritent un commentaire approfondi.
J’ai regardé « Le Concert de Paris 2020 », le 14 juillet, sur France 2, et « Nuit magique, la grande soirée aux Chorégies d’Orange », le 1er août, sur France 5. Le premier était en direct, avec un programme à la fois hétéroclite et « grand public », comme la télé juge nécessaire d’en proposer, dès qu’il s’agit de musique « classique » à une heure de grande écoute.
Était-il pour autant pertinent de faire chanter Édith Piaf à Sonya Yoncheva, et Charles Aznavour à Ludovic Tézier, tous deux exceptionnels dans La Wally (« Ebben ? Ne andro lontana ») et Les Pêcheurs de perles (« Au fond du temple saint », avec un Benjamin Bernheim miraculeux) ? La chanson n’est pas leur univers, et je suis certain qu’un autre air d’opéra à la place n’aurait pas fait fuir le téléspectateur (la grande crainte, on le sait, des programmateurs du service public).
S’agissant d’Orange, j’avoue m’être énervé devant mon poste. Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, et son équipe ont conçu un magnifique programme, filmé quinze jours en amont, au Théâtre Antique : une brochette de chanteurs confirmés à leur zénith (Roberto Alagna, Cecilia Bartoli, Javier Camarena, Karine Deshayes, Aleksandra Kurzak, Artur Rucinski), dans des airs bien choisis, avec le soutien d’un merveilleux pianiste (David Zobel), le tout sous les étoiles.
Et qu’avons-nous vu à l’arrivée ? Un montage incohérent, intercalant, entre les images de cette nuit effectivement « magique », de minuscules bouts d’interviews et extraits de retransmissions passées (Faust mis en scène par Nicolas Joel, « Musiques en fête »…). Claire Chazal, à qui France 5 n’a même pas demandé de réenregistrer son introduction, après le forfait de Jonas Kaufmann, a annoncé la présence du ténor -allemand. Et personne n’a expliqué ce que venaient faire, ni qui étaient les très prometteurs Solen Mainguené et Jean Miannay, invités pour représenter la génération montante !
On imagine la raison de ce gâchis, qui n’est en rien imputable aux Chorégies, bien sûr. C’est toujours la même : éviter que le téléspectateur ne déserte, en enchaînant des séquences aussi brèves et contrastées que possible, et en privilégiant des airs « populaires » – ce que n’étaient pas, c’est certain, tous ceux choisis par les chanteurs susmentionnés. Et tant pis pour ceux qui ont envie de voir et d’entendre autre chose, dans les vraies conditions d’un concert !