Teatro Costanzi/Operaroma.it, 23 janvier
Elvira est, sans doute, le rôle belcantiste le plus congénial à la nature vocale et à la personnalité de Jessica Pratt. C’est ce que prouve cette version de concert d’I puritani, filmée sans public, à Rome, et diffusée en streaming par le Teatro dell’Opera, le 23 janvier.
D’une part, Jessica Pratt possède l’exact profil de l’emploi, avec un aigu et un suraigu d’une pureté absolue, un timbre d’une fraîcheur juvénile, ainsi qu’une technique éblouissante, qui lui permet de varier de façon personnelle toutes les reprises de ses airs (un « Vien, diletto » d’anthologie !). D’autre part, elle incarne l’héroïne avec une candeur sans affectation, qui rend son joyeux « Son vergin vezzosa » parfaitement crédible et donne à son désespoir de la fin du I, comme à sa scène de folie du II, un caractère vraiment poignant.
Il est vrai que Jessica Pratt a incarné le rôle près d’une quinzaine de fois depuis 2008 ; elle se l’est si bien approprié que ses regards expressifs et ses quelques mouvements suffisent à le faire exister, même sans aucune mise en scène, ni mise en espace.
Face à elle, Lawrence Brownlee ne démérite pas en Arturo, se montrant stylé, avec une ligne de chant soignée, un lyrisme de bon aloi, des récitatifs pleins d’expression et des aigus bien en place. Il se sort sans dommage du fameux contre-fa de « Credeasi misera », mais n’atteint jamais à ce niveau où l’interprète semble recréer son personnage, comme le fait sa partenaire.
La plus belle voix grave de la soirée est celle de Roberto Lorenzi dans le rôle, hélas épisodique, de Valton, auquel il communique une remarquable autorité. Nicola Ulivieri se révèle parfaitement maître de la tessiture de Giorgio, avec un grave respectable et une musicalité certaine, mais il lui manque ce rien de rondeur propre aux vraies basses nobles.
Après une scène d’entrée dont la tessiture, assez basse, laisse entendre quelques problèmes de stabilité dans la cavatine et des vocalises un peu laborieuses dans la cabalette, le Riccardo de Franco Vassallo s’affirme pleinement dans le duo patriotique, où sa voix s’unit avec bonheur à celle de Nicola Ulivieri. Enfin, Irene Savignano apporte à Enrichetta un mezzo charnu et coloré, qui la promet à des rôles de plus grande importance.
Les chœurs, répartis à l’orchestre et dans les deux premiers rangs des loges, passé un petit retard dans leur première intervention, dû sans doute à cette disposition inusuelle, se montrent d’une parfaite homogénéité. La direction très équilibrée de Roberto Abbado, tendue et nerveuse, mais toujours nuancée, fait de ce concert une grande réussite.
Ne manquent qu’un ou deux entractes, qui seraient bienvenus dans la diffusion de cette version absolument intégrale de la partition (près de trois heures de musique !), en y apportant quelques respirations. Surtout, on ne peut s’empêcher de se sentir terriblement frustré quand, à la fin de la soirée, les saluts des interprètes s’abîment dans un silence implacable.
ALFRED CARON
PHOTO © OPERA ROMA/YASUKO KAGEYAMA