Theater Basel, 22 avril
Après les proportions écrasantes de Die Frau ohne Schatten, Richard Strauss souhaitait un retour au quotidien, à l’intime. D’où ce projet d’Intermezzo (Dresde, 1924), « comédie bourgeoise » qui contraste par son format, mais pas fondamentalement par son sujet.
La féerie précédente était l’histoire de deux couples, en quête du sens profond de leur existence. Un schéma qu’Intermezzo reproduit, mais à l’échelle plus réduite et banale d’un ménage moderne : petites aigreurs, mesquineries tendres, orages temporaires, mais toujours pour mieux se retrouver ensemble à la fin, au salon, en pantoufles.
Ici, la veine autobiographique est plus évidente, puisque Strauss y met même en scène une anecdote authentique, quiproquo stupide qui faillit mener son couple au divorce. Mais juste après la Teinturière de Die Frau ohne Schatten, Christine, l’héroïne d’Intermezzo, n’est jamais qu’un autre portrait, encore plus complet et précis, de Pauline Strauss, cette épouse embourgeoisée et fantasque, dont le compositeur ne s’est jamais lassé de traduire amoureusement les caprices en musique.
En musique ou en paroles ? Dans Intermezzo, on reste très proche de la fluidité du langage parlé, le lyrisme restant plutôt dévolu à de somptueux interludes d’orchestre. Et pourtant, l’ouvrage peut aussi regorger d’émotion dans ses lignes vocales, en particulier celles de Christine, ici très bien défendue par Flurina Stucki (pour Rachel Harnisch, initialement annoncée).
Tout en petites touches piquantes, mais aussi en superbes phrases enveloppantes, le portrait féminin est complet. Ne manque à l’incarnation de la soprano suisse qu’un peu plus de tranchant dans des répliques qui, parfois, se perdent, rendant indispensable de se raccrocher au surtitrage pour goûter l’humour acide du livret, écrit par Strauss lui-même.
Robert Storch, le mari, lui, est flegmatique, voire absent, et c’est d’ailleurs bien ce qu’on lui reproche ! Présent au début et à la fin seulement, hormis l’épisode truculent d’une partie de cartes entre hommes, au milieu : un rôle surtout complémentaire de l’éruption féminine permanente qui agite tout l’opéra, mais dans lequel le baryton Günter Papendell, quand même un peu neutre, pourrait impressionner davantage.
Pour le reste, la distribution ne requiert que des silhouettes, y compris même le Baron Lummer, gigolo opportuniste, savoureusement incarné par le ténor Michael Laurenz.
En fait, le seul personnage d’Intermezzo qui puisse faire le poids face à l’héroïne, c’est bien l’orchestre, d’un effectif beaucoup plus réduit que celui de Die Frau ohne Schatten, mais qui sonne avec une opulence et une richesse mélodique enivrantes. Ces qualités sont bien restituées par le Sinfonieorchester Basel, sous la baguette de Clemens Heil, en dépit d’une relative méforme des cuivres (après cinq mois de fermeture, certains manques d’entraînement sont patents).
Le spectacle, confié au metteur en scène et décorateur allemand Herbert Fritsch, n’offre aucun intérieur confortable, et même aucun détail réaliste, ce qui revient à prendre l’ouvrage à contre-pied, sur un plateau tournant vide, sous un immense abat-jour qui dodeline doucement, avec, pour seul meuble, un piano à queue rose bonbon.
Les chanteurs sont très sollicités sur le plan physique : on se trémousse, on court, on se dandine, on oscille des genoux, les interludes d’orchestre servant de support à de véritables chorégraphies. Dans un esprit très « pop art », qu’on retrouve dans les costumes colorés de Victoria Behr, c’est tout à fait réussi, même si certaines subtilités passent à la trappe.
Cinquante personnes enthousiastes dans la salle, qui peut en accueillir neuf cents d’habitude : une réouverture timide, mais qui devrait être suivie par quelques autres représentations de cette nouvelle production, toujours pour un véritable public payant. Des soirées certes impossibles à rentabiliser financièrement, mais c’est un début !
LAURENT BARTHEL
PHOTO © THOMAS AURIN