Théâtre Royal, 9 & 10 mars
Et si, à force d’avoir subi d’improbables productions « à grand spectacle », débordantes de kitsch et finalement bâclées pour satisfaire les amateurs d’Égypte de carton-pâte, façon Cecil B. DeMille, Aida était faite pour de petits théâtres à l’italienne, où l’attention de l’auditeur peut se focaliser sur une œuvre aux contours chambristes ? C’est en tout cas l’impression que nous avons ressentie à Liège où, comme à Marseille, il y a quelques années, la proximité du plateau et la merveilleuse acoustique ont comblé nos attentes.
S’il ne prend aucun risque et privilégie la plus élémentaire des lisibilités, le travail de Stefano Mazzonis di Pralafera se laisse regarder sans perturber notre plaisir. Évitant tout effet tape-à-l’œil, les décors de Jean-Guy Lecat, où se succèdent l’intérieur d’un temple, les appartements d’Amneris, une tribune, puis les bords du Nil, sont là pour illustrer l’action et offrir un cadre précis aux protagonistes.
Venue des dessous, la foule fait son petit effet lors du triomphe de Radamès, comme plus tard le tombeau, s’enfonçant lentement sur les derniers accords de l’opéra. Stefano Mazzonis di Pralafera a eu la bonne idée de confier la chorégraphie à Michèle Anne De Mey qui dynamise, en quelques minutes, un concept on ne peut plus traditionnel, en introduisant contorsions, acrobaties, danses hip-hop mixées à des mouvements plus classiques, le tout exécuté par de jeunes et talentueux artistes.
L’admirable lecture de Speranza Scappucci, directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, aussi puissante que nuancée, met l’accent sur les particularités de cette partition exaltante par sa démesure et sa propension à révéler l’intimité profonde des personnages principaux. Si la cheffe tient d’une main de maître son orchestre, parfaitement équilibré, elle sait également accompagner ses chanteurs et leur permettre de s’épanouir sans heurt.
Des deux Aida présentées en alternance, Elaine Alvarez, malgré un timbre métallique qui met du temps à se chauffer et une technique dont les « coutures » sont visibles, est supérieure à Donata D’Annunzio Lombardi, nettement plus terne scéniquement, monocorde et aux aigus crispés (quand ils ne sont pas délibérément supprimés, comme celui du concertato de la fin du II).
Marcello Giordani n’a certes plus 20 ans, mais son Radamès, à la ligne durcie et au médium erratique, a toujours de l’endurance et quelques aigus bien placés qui forcent le respect. Arnold Rawls, qui porte tout aussi mal que son collègue la perruque bouclée, la jupe plissée et les cothurnes dorés, est bien plus fringant, mais ce rôle écrasant ne semble pas écrit pour lui, à la différence de Lionel Lhote, pour qui Amonasro tombe sans un pli sur son baryton tout en subtilité.
Des deux Amneris, notre préférence va à Nino Surguladze, hautaine, bravache mais avec élégance, un indéniable mordant et des aigus dardés, culminant lors des imprécations lancées sans retenue à la face des Prêtres. Très aimée par le public, Marianne Cornetti est desservie par une voix qui ne vient à bout du rôle qu’au prix de duretés, hurlements et reprises de souffle trahissant l’effort.
Bon Ramfis de Luca Dall’Amico, Roi un peu trémulant de Luciano Montanaro, belle Prêtresse de Tineke Van Ingelgem et chœur exemplaire complètent cette nouvelle production de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE