Avec An American in Paris au Châtelet et La Chauve-Souris à l’Opéra-Comique, la capitale a terminé l’année 2014 dans un feu d’artifice visuel et musical.
Accumuler les qualificatifs serait inutile : ce spectacle est éblouissant (à quelques longueurs près dans les dialogues du premier acte). C’est, sauf erreur, la première fois qu’une grande scène lyrique parisienne s’unit pour une coproduction avec une salle de Broadway. Une condition, toutefois, pour apprécier pleinement cet American in Paris : oublier complètement le long-métrage du même nom de Vincente Minnelli, Oscar du meilleur film 1951.
Si la base reste identique – un jeune peintre américain tente de faire carrière dans le Paris d’après-guerre et trouve l’amour –, Craig Lucas a imaginé un livret qui approfondit les motivations des personnages, et fait du contexte historique autre chose qu’un cadre pittoresque. La Résistance, la collaboration, l’antisémitisme, le nazisme sont évoqués avec discrétion, mais suffisamment pour donner à l’intrigue une couleur dramatique qu’elle n’avait pas à l’écran. L’onirisme a cédé la place à un réalisme poétique tout aussi charmant. Quant à la musique de Gershwin, elle n’a rien perdu de sa jeunesse, de son entrain, de son brio.
An American in Paris, écrit en 1928, n’est pas, à l’origine, un épisode de comédie musicale ; Alan Jay Lerner avait concocté pour Minnelli un scénario dont cette pièce symphonique, adorée dans le monde entier, constituait l’épisode final, prétexte à un merveilleux ballet dansé par Gene Kelly et Leslie Caron. Contrairement à d’autres succès de la Metro-Goldwyn-Mayer, Singin’ in the Rain ou Seven Brides for Seven Brothers, conçus eux aussi pour l’écran, le film n’avait jamais donné lieu à une adaptation théâtrale. C’est maintenant chose faite ; et c’est une réussite.
Un « musical », c’est d’abord une équipe. Ce qui se vérifie encore ici. Des comédiens épatants (Veanne Cox, grande bourgeoise parisienne dont l’anglais se teinte d’un accent français irrésistible), des premiers plans qui savent tout faire, danser, chanter, jouer la comédie, avec un décalage subtil, suffisant pour être drôle, mais sans nuire à leur personnage auquel il arrive d’émouvoir – Jill Paice, pauvre petite fille riche qui voudrait être aimée autrement que pour son argent, Brandon Uranowitz, pianiste en quête de gloire et narrateur d’une histoire qui a changé sa vie, Max von Essen, fils de famille fortuné tenté par les planches du music-hall, tous sont excellents.
Le couple d’amoureux est confié à Leanne Cope et Robert Fairchild. Elle est l’un des meilleurs éléments du Royal Ballet, vive et charmante ; il est danseur étoile du New York City Ballet, fin et élégant. On oublie, en les voyant évoluer, que leurs voix ne sont pas très marquantes. Car même sans être expert de l’art chorégraphique, on comprend vite qu’ils sont exceptionnels. Et tant mieux, car la danse plus que le chant est l’élément moteur de ce show.
Tout dans le film menait vers le ballet final, apothéose et glorification de Paris à travers ses peintres, parmi lesquels Raoul Dufy. Copier cela eût été une maladresse impardonnable. Des éléments décoratifs abstraits et vivement colorés servent d’écrin aux évolutions de la troupe ; une autre forme de magie, tout aussi prenante. Un triomphe pour le metteur en scène et chorégraphe Christopher Wheeldon, qui signe un travail d’une fluidité remarquable, dans une scénographie et des costumes pleins d’esprit de Bob Crowley.
La conquête de Broadway, c’est pour le printemps. L’hiver parisien, lui, a eu sa part de gaieté et de lumière.