Opéra, 27 janvier
Pour l’Opéra de Limoges, monter Die tote Stadt (La Ville morte) relevait du pari un peu fou, ne serait-ce qu’en raison de l’exiguïté de la fosse. Sandrine Anglade et son équipe ont résolu le problème en installant l’orchestre sur le plateau, lui-même fusionné avec la fosse grâce à un plan incliné à 13 %. Les instrumentistes sont disposés par pupitres dans huit « bassins », entre lesquels évoluent solistes et chœurs, le chef dirigeant depuis une plate-forme au bas de la pente, à laquelle on accède par quelques marches.
En découvrant le dispositif, complété par une rampe de néons montant et descendant des cintres, on s’attend à une simple mise en espace, mais on est vite détrompé. Car Sandrine Anglade règle une véritable mise en scène, riche d’effets visuels et de plongées dans la psychologie des personnages. Ainsi, nous n’oublierons pas de sitôt cette procession des béguines, groupe de femmes voilées de noir des pieds à la tête, déambulant entre les « bassins » comme des fantômes, ni, pour ce qui est de la direction d’acteurs, le moment bouleversant où Paul, pendant la deuxième strophe du célébrissime « Glück, das mir verblieb », pose sa tête avec confiance sur l’épaule d’une Marietta perplexe mais compatissante.
Si les costumes des quatre principaux personnages sont de facture classique, ceux des comédiens de la kermesse (perruques et longs tutus également blancs) font preuve d’autant de fantaisie que de goût. On signalera encore la qualité des éclairages et la pertinente utilisation d’une danseuse (Cécile Fargues), incarnant le spectre de l’épouse disparue, dont les évolutions aériennes accentuent l’atmosphère mystérieuse du spectacle et de la pièce.
Considérablement renforcés pour l’occasion, l’Orchestre (soixante-dix musiciens) et le Chœur (trente chanteurs) de l’Opéra de Limoges font preuve d’autant d’enthousiasme que de cohésion, sous la baguette rutilante et sensuelle de Pavel Baleff, bien décidé à révéler au public de la capitale du Limousin les irrésistibles splendeurs de l’un des chefs-d’œuvre absolus du XXe siècle.
On le sait, c’est avant tout sur les épaules de l’interprète de Paul que repose le succès d’une représentation de Die tote Stadt. Le ténor canadien David Pomeroy, qui a déjà Tannhäuser et Peter Grimes à son répertoire, triomphe de tous les écueils avec une aisance sidérante. Le médium robuste, l’aigu facile, l’endurance physique et vocale sont bien ceux qu’appelle le rôle, d’une longueur et d’une tension éprouvantes. Le comédien, de surcroît, n’est pas en reste, d’une crédibilité absolue dans son portrait de grand enfant un rien pataud, éminemment attachant et sympathique, inquiétant aussi par la force brute qu’il dégage.
Johanni van Oostrum est également une découverte. Familière de la Comtesse Almaviva et de la Maréchale, la soprano sud-africaine saisit toute la filiation mozartienne et straussienne de l’écriture de Marietta/Marie, avec beaucoup de charme vocal et scénique. Tout juste souhaiterait-on un zeste de velours supplémentaire dans les courbes voluptueuses du « Mariettas-Lied ».
Pilier de la troupe de l’Opéra de Francfort depuis 2011, l’Autrichien Daniel Schmutzhard possède l’exact profil de Frank (puis Fritz, le Pierrot), baryton aigu au legato caressant. Aline Martin remplit dignement son office en Brigitta, tandis que le quatuor composé de Jennifer Michel, Romie Estèves, Loïc Félix et Pierre-Antoine Chaumien fait grosse impression au deuxième acte.
RICHARD MARTET
PHOTO : © S. BAREK