Comptes rendus Otello de l’exploit à Saint-Étienne
Comptes rendus

Otello de l’exploit à Saint-Étienne

19/07/2021

Grand Théâtre Massenet, 11 juin

Il est des retrouvailles poignantes. Éric Blanc de la Naulte, directeur général et artistique de l’Opéra de Saint-Étienne, vient dire au public, présent après dix-huit mois d’interdiction, l’enjeu de la soirée.

Il fait applaudir, à la manière qui convient aux artistes, la mémoire de Stefano Mazzonis di Pralafera, qui avait réalisé la mise en scène de cet Otello, en 2011, pour l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, et de François Bescobo, ténor du Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, qui devait participer à cette production. Le chef-d’œuvre de Verdi achevait la saison. Il l’ouvre. C’est le symbole de temps nouveaux. Que les contraintes sanitaires imposent un orchestre réduit à quarante-deux musiciens, que les choristes chantent masqués, pour un résultat à la hauteur de l’ouvrage, tient de l’exploit.

Jacques Bonnaure, rendant compte d’une reprise à Liège, en 2017 (voir O. M. n° 131 p. 54 de septembre), qualifiait la production – réglée ici par Gianni Santucci – de « traditionnelle, sans doute, mais personnelle aussi ». Stefano Mazzonis di Pralafera a fait de Iago le manipulateur des autres personnages ; dès qu’ils deviennent les jouets de sa sinistre stratégie, ils sont acheminés sur de petits chariots : Roderigo, Cassio, Desdemona, Otello… Seule Emilia résiste et, seule, elle fera advenir lumière et justice. Le décor unique (colonnes vénitiennes, éléments végétaux, rideaux), les costumes aux chaudes couleurs d’une probable fin du XVe siècle, se prêtent aux lignes de force de l’action.

L’exploit de Giuseppe Grazioli est de maintenir l’équilibre entre les pupitres de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, en se jouant de l’habile réduction réalisée par Aldo Salvagno. L’exercice côtoie le risque : les cordes, spécialement violoncelles et contrebasses, se trouvent limitées par rapport aux cuivres, mais la noblesse du duo « Già nella notte densa », comme la sombre scène finale, portent la marque d’un grand maestro.

On a parfois pu éprouver de la peur pour quelques interprètes récents d’Otello. Envers Nikolai Schukoff, très assuré dans la ligne de chant, du grave coloré à l’aigu sonore, on découvre la sympathie. Le ténor autrichien, familier de Lohengrin, Siegmund et Parsifal, mais aussi Don José, étonne par sa juvénilité, un je-ne-sais-quoi de décalé et de vulnérable. Il émeut particulièrement dans « Dio ! mi potevi scagliar », et son « Niun mi tema » est un des plus bouleversants qui soient.

Gabrielle Philiponet accomplit, avec sa prise de rôle, un moment décisif dans son parcours judicieusement conduit. Fiordiligi, Donna Anna, Violetta Valéry, Mimi, la voilà tout naturellement Desdemona, elle aussi juvénile, sensible, saisissante d’homogénéité sur toute la tessiture. Élégiaque, indignée, résignée, la ligne mélodique, selon le vœu du compositeur, « ne cesse jamais de la première à la dernière note ».

L’excellent André Heyboer, Iago sobre et nuancé, mène le jeu, de la « Chanson à boire » (« Innaffia l’ugola ! ») au « Credo » (« Credo in un dio crudel »), puis au « Rêve » (« Era la notte »). Marie Gautrot révèle l’importance dramatique d’Emilia, par la puissance de sa voix et la vigueur de son engagement. Sébastien Droy et Kaëlig Boché équilibrent le pupitre des ténors ; les basses Antoine Foulon et Geoffroy Buffière contribuent à la dignité de l’ensemble.

Voilà le défi relevé. Une ovation debout semble ne pas devoir finir.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE/LOUIS PERRIN

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