Opéra, 2 juin
C’est avec un vif intérêt que nous attendions la reprise à l’Opéra de Lausanne, l’un de ses coproducteurs, de l’Orphée et Eurydice mis en scène par Aurélien Bory, à l’Opéra-Comique, en octobre 2018. Car, cette fois, il n’allait pas s’agir de l’édition Berlioz/Viardot de 1859 (ou plutôt de sa « révision » aux bons soins de Raphaël Pichon), avec une mezzo-soprano en Orphée, mais de la version française de 1774, conçue pour le légendaire ténor Joseph Legros.
Les conséquences de ce changement n’ont rien d’anecdotique. D’abord, Aurélien Bory a dû retravailler sa mise en scène, pour illustrer le finale heureux de 1774 – d’ailleurs différent de celui de l’édition Berlioz/Viardot, coupé à l’Opéra-Comique pour préserver la cohérence d’un spectacle voulu tragique de la première à la dernière note. La solution qu’il a trouvée est astucieuse, mais une fois encore infidèle au livret, qui voit l’Amour triompher de la Mort et donc viser à l’éternité, comme le rappelait justement Michel Parouty dans son compte rendu de la création de la production à la Salle Favart (voir O. M. n° 145 p. 57 de décembre 2018).
En effet, si l’Amour intervient, comme il se doit, pour empêcher Orphée de se suicider et pour ressusciter Eurydice, on comprend, dès le début du trio « Tendre Amour, que tes chaînes », que l’issue ne sera pas aussi heureuse qu’attendu. Après s’être éloignés l’un de l’autre, les époux se rapprochent en s’enveloppant dans l’immense tissu noir recouvrant le sol, puis, drapés dans ce linceul, basculent en arrière comme dans une mise au tombeau. « L’Amour triomphe », chante le chœur, mais dans la mort…
Pour le reste, il nous a semblé que le spectacle fonctionnait mieux qu’à Paris, avec plus de précision dans les effets visuels et de fluidité dans les évolutions des choristes (excellent Chœur de l’Opéra de Lausanne, préparé par Patrick Marie Aubert, son nouveau chef). Surtout, derrière ce dispositif toujours aussi séduisant, avec son miroir incliné permettant de jouer avec l’espace et de créer l’illusion, l’émotion nous a paru davantage présente.
Le titulaire d’Orphée en est, sans doute, le premier responsable. Nous avions énormément aimé Marianne Crebassa à l’Opéra-Comique, mais son incarnation, comparée à celle de Philippe Talbot, nous semble rétrospectivement trop en retrait. Très investi sur le plan du jeu, le ténor français, un mois après sa formidable Platée à Dresde (voir O. M. n° 151 p. 44 de juin 2019), confirme ses affinités avec ces emplois de haute-contre à la française.
Ses atouts ? Une émission haute et parfaitement placée dans le masque, un médium et un grave nourris, un souffle impeccablement contrôlé (les roulades de l’air de bravoure de l’acte I, « L’espoir renaît dans mon âme » !), des accents tour à tour pathétiques et violents, une diction de rêve. Sans doute entend-on une pointe d’effort sur certaines phrases particulièrement aiguës, mais comment le lui reprocher, s’agissant d’un rôle aussi monstrueusement long et difficile ?
Comme à Paris, Hélène Guilmette est une gracieuse Eurydice, même si son timbre a pris des couleurs pointues que nous ne lui connaissions pas dans ses premières années de carrière, et Marie Lys impose un Amour tout d’énergie et de charme.
En mai 2018, dirigeant l’édition originale italienne de 1762 au Théâtre des Champs-Élysées, avec son ensemble I Barocchisti, Diego Fasolis nous avait davantage séduit par sa fougue que par son sens des nuances. La version de 1774 lui convient-elle mieux (précisons qu’il en a abrégé le finale, en coupant dans les ballets) ? La collaboration avec le metteur en scène a-t-elle été plus fructueuse ? Toujours est-il que, si la vitalité est toujours présente, la poésie et la tendresse sont, cette fois, au rendez-vous, avec le concours d’un Orchestre de Chambre de Lausanne irréprochable.
RICHARD MARTET
PHOTO © ALAN HUMEROSE
Représentations les 5, 7, 9 et 12 juin.