La Seine Musicale, 19 mai
Idée originale que de faire un spectacle à partir des Ballades de Schumann ! Celles-ci sont rarement jouées – et, surtout, jamais mises en scène. Il est vrai qu’il ne s’agit pas de véritables opéras, mais de pièces s’apparentant davantage à des lieder, auxquels le compositeur aurait donné un cadre plus théâtral, en les écrivant pour voix soliste, chœur et orchestre.
Il y a donc des personnages, mais ils ne sont guère développés. Quant aux intrigues, qui relèvent du conte, de la légende, du merveilleux, elles ne font pas preuve de ces ressorts dramatiques, auxquels on est habitué sur les scènes lyriques. Comme le dit Yann Breton dans le programme de salle : « La ballade schumanienne est à l’opéra ce que la nouvelle est au roman. Et l’absence de (…) cadre prédéfini laisse au compositeur toute latitude dans le choix des textes, de la dramaturgie, de l’orchestration. »
Pour ce spectacle, intitulé « La Nuit des Rois », Laurence Equilbey avait choisi de programmer les quatre ballades de Schumann, toutes composées en 1852. Las, suite à plusieurs cas contacts dans les rangs du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs du CRR de Paris, la programmation a dû être modifiée : on a remplacé le Requiem pour Mignon, d’après Goethe, par la Marche funèbre de Leonore Prohaska et la Marche spirituelle de König Stephan, deux pièces rares de Beethoven.
Ce changement n’a cependant qu’une incidence relative sur le spectacle, qui s’apparente davantage à une animation qu’à une véritable mise en scène (on ne voit pas ce qu’on pourrait faire d’autre avec des œuvres de ce type !). Antonin Baudry, le scénariste de la bande dessinée Quai d’Orsay, qui est aussi cinéaste, et sa décoratrice, Emmanuelle Favre, ont imaginé un dispositif qui est comme un écran, à travers lequel on voit en transparence, et sur lequel une vidéo d’Anatole Levilain-Clément est projetée en permanence. L’orchestre est au centre, et les chanteurs évoluent aussi bien devant que derrière.
Le tout, qui reste dans l’univers de la BD, est astucieux, et illustre agréablement – même si, parfois, de façon un peu trop naïve – ces pages hautement inspirées. L’intérêt, néanmoins, se concentre prioritairement sur la musique et, de ce point de vue, la satisfaction est totale.
Laurence Equilbey dirige, avec sensibilité et fraîcheur, ces œuvres qui font souvent penser à Weber et au Wagner de Lohengrin. À la tête de son Insula Orchestra, elle fait de la soirée une sorte de grand songe, les pièces s’enchaînant sans interruption. Le chœur Accentus est pour beaucoup dans le moelleux et la finesse de la ligne musicale, avec toute une palette de nuances dans les différentes interventions.
Reste à saluer les chanteurs solistes, dont plusieurs sont des « anciens » de l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris. De Ric Furman à Anna Lucia Richter, en passant par Marie-Adeline Henry, Adèle Clermont, Alexandre Duhamel et Rafal Pawnuk, tous s’engagent pleinement dans la défense de ce répertoire, qu’on est heureux de découvrir.
PATRICK SCEMAMA
PHOTO © SIMON GOSSELIN