Opéras Un autre Schubert à Paris
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Un autre Schubert à Paris

08/02/2024
Stéphane Degout (L’Homme) et Siobhan Stagg (L’Amour). © Stefan Brion

Opéra-Comique, 1er février

On connaît, depuis longtemps, le penchant de Raphaël Pichon pour les versions alternatives d’œuvres connues – souvent en y adjoignant des éléments extérieurs –, comme pour les montages originaux.

À l’Opéra-Comique, le chef français continue, après Rheinmädchen et Mein Traum (l’un et l’autre enregistrés en studio, en 2015 et 2020, chez Harmonia Mundi), son exploration schubertienne, en se penchant sur les opéras, qui représentent une part importante de la production du compositeur, bien qu’ils soient, pour la plupart, inachevés. L’inachèvement est, d’ailleurs, le point de départ de ce projet scénique, élaboré à partir de ce « corpus lacunaire, peuplé de fantômes ».

Remarquant que Schubert a travaillé « sur des livrets de bien moindre qualité que maints poèmes de ses lieder », Raphaël Pichon s’est autorisé à utiliser sa musique comme un matériau, auquel ont été collées, parfois, de nouvelles paroles – pratique sujette à caution. Ainsi est né L’Autre Voyage, en étroite collaboration avec la metteuse en scène italienne Silvia Costa, en charge, aussi, des décors, et avec l’aide d’Antonio Cuenca Ruiz, à la dramaturgie, et de Raphaëlle Blin, pour cette réécriture des textes.

Cousus ensemble, ces extraits d’opéras (Fierrabras, Die Verschworenen, Alfonso und Estrella, Sacontala), de l’oratorio Lazarus, auxquels s’ajoutent la musique de scène de Rosamunde et divers lieder orchestrés – par Brahms, Reger, Liszt, ou encore Robert Percival –, forment une sorte d’opéra imaginaire, autour d’un fil narratif complexe.

Tout part de la découverte d’un cadavre, confié au médecin légiste, alias l’Homme (baryton), qui découvre, avec effroi, que ce corps à autopsier n’est autre que le sien. La dissection déclenche une succession de « tableaux lyriques », visions oniriques ou fragments de mémoire remontant à la conscience, en particulier le trauma de la disparition d’un enfant, avec un cortège de souvenirs devenus douloureux : noces joyeuses, anniversaire de l’Enfant (soprano garçon), choc de sa mort brutale, entre révolte et incompréhension des parents… Le spectacle décrit ce long chemin, aidé par l’Amour (soprano) et l’Amitié (ténor), vers la lumière de l’acceptation de la perte, avec la vie qui continue.

Un propos ambitieux, bien qu’il nous paraisse, malgré tout, emprunter les sentiers de la branchitude psy, avec des thèmes tels que le voyage intérieur, la conscience du deuil, la résilience, la catharsis, et qui, en même temps, actionne des ficelles un peu grosses, aborder la mort d’un enfant donnant l’assurance de susciter l’émotion.

Cela dit, on admire la virtuosité à faire se recomposer, sous nos yeux, différents lieux sur le plateau, qui devient, tour à tour, champ, salle d’autopsie, salon funéraire, chambre à coucher… Ou espace bien plus abstrait : d’affrontement (Gruppe aus dem Tartarus, interprété avec intensité par la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique) ; de rêve (Nacht und Träume, chanté sur le fil par Siobhan Stagg) ; et, enfin, de réconciliation (finale choral de Sacontala).

D’autant que la réalisation musicale convainc totalement, grâce à la direction, aussi attentive qu’amoureuse, de Raphaël Pichon, maître d’œuvre inspiré, à la tête d’un ensemble Pygmalion (chœur et orchestre) en état de grâce. Il couve du regard les chanteurs, en premier lieu Stéphane Degout, voix sombre et percutante, au legato envoûtant (un Doppelgänger halluciné !), et dont l’excellent allemand sert le saisissant « mélodrame », extrait de Fierrabras.

La lumière, on la trouve chez Laurence Kilsby, quand il module, de son ténor d’une bouleversante clarté, la romance « Die Ruhe fällt auf schweres Lied » (originellement « Der Abend sinkt auf stiller Flur ») de Fierrabras, encore.

Autre grand moment, la sublime ariette « Der Vollmond strahlt » de Rosamunde, par la voix fine et d’une justesse imparable de Chadi Lazreq – né en 2012, et d’une étonnante maturité artistique –, s’accompagnant lui-même au piano, évocation d’un moment de bonheur simple, à jamais enfui.

Ce spectacle, d’une grande force musicale et esthétique, a, toutefois, le défaut de ne guère laisser de place à l’imagination du spectateur, lequel suit, pas à pas, un parcours tracé par une dramaturgie très pensée et explicite, sans autre possibilité d’interprétation.

Lui sont servis, en chemin, différents symboles, livrés avec une seule grille de lecture. À l’image de ce rouet, auquel est assise, au tout début, Siobhan Stagg, pour entonner Einförmig ist der Liebe Gram, devant le rideau baissé – image un peu lourde du fil d’Ariane de l’errance narrative, qui va se jouer devant nous, mais aussi de la Parque, déroulant le fil de la destinée humaine. Ce chant est, d’ailleurs, un arrangement en canon, dû à Brahms, du dernier lied de Winterreise, Der Leiermann.

L’Autre Voyage se présente donc, d’emblée, comme commençant là où finissait ce cycle, dont on projette, alors, cet extrait du lied initial, Gute Nacht : « De mon départ en voyage, je ne peux choisir le moment/Je dois moi-même trouver le chemin, en cette obscurité. »

THIERRY GUYENNE

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