Opéras L’Aube rouge se lève sur Wexford
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L’Aube rouge se lève sur Wexford

13/11/2023
Andreea Soare (Olga). © Clive Barda/ArenaPAL

O’Reilly Theatre, 1er novembre

La plus importante redécouverte du Festival de Wexford 2023 restera, sans nul doute, celle de Camille Erlanger (1863-1919), né et mort à Paris, élève de Léo Delibes et féru de musique allemande. On lui doit une douzaine d’opéras, pour la plupart tombés dans l’oubli depuis un siècle.

L’heure d’Erlanger est peut-être revenue, puisque, après Wexford et sa résurrection scénique de L’Aube rouge, créée à Rouen, le 29 décembre 1911, la Haute Ecole de Musique (HEM) et l’association Ascanio proposeront à Genève, le mois prochain, La Sorcière (Paris, 1912).

Qualifiée de « pièce lyrique », L’Aube rouge a été composée sur un livret original de deux experts : Arthur Bernède – romancier à succès, et notamment auteur de Phryné (Saint-Saëns) et, avec Henri Cain, de Sapho (Massenet) – et Paul de Choudens, fils du célèbre éditeur.

L’histoire est celle d’Olga, jeune fille russe de haute lignée, dont le père est un général autoritaire, connu pour la cruauté avec laquelle il poursuit les opposants et dissidents de toutes sortes, comme les nihilistes. Digne descendante de Juliette, Olga tombe, évidemment, amoureuse de Serge, beau et jeune héros du camp adverse, un nihiliste, donc, qu’elle tentera – vainement – de sauver de ses penchants terroristes.

Le livret mélange curieusement le tragique et l’anecdotique. Les vers ne sont pas toujours des plus profonds, et certaines situations reposent sur un romanesque un peu désuet : quand, par amour pour Olga, Serge renonce à participer à un attentat contre le Grand-Duc, de passage à Paris, son camarade Vassili est tellement fâché de sa défection qu’il lui tire dessus. Le jeune nihiliste est alors transporté dans un état critique à l’hôpital, où il sera sauvé par un chirurgien, qui n’est autre que Pierre de Ruys, le mari qu’Olga a abandonné pour le suivre…

La partition de Camille Erlanger se révèle puissamment expressive, avec, elle aussi, une immédiateté dont la naïveté peut sembler gênante, notamment dans le personnage d’Olga, dont les airs se déploient avec une virtuosité sans limite ; et des citations pouvant, pour un public d’aujourd’hui, habitué à la consommation des musiques du passé, sembler un peu simplistes – ainsi, par exemple, de la Marche nuptiale de Mendelssohn, dans la scène de mariage qui ouvre le II.

Ce fut, peut-être, la cause de son succès à l’époque, et de son effacement ensuite : la musique d’Erlanger n’hésite pas à prendre le chemin le plus direct pour toucher le public. Mais, en même temps, on ne peut qu’éprouver de l’admiration pour un musicien qui, en 1911, anticipe déjà des effets orchestraux évoquant Turandot, et dont la prosodie française est plus proche de Dialogues des Carmélites que de Pelléas et Mélisande.

L’action se passe, en principe, dans les années 1800, mais il pouvait sembler logique de la situer un siècle plus tard, à l’époque de la création de l’œuvre, et dans le contexte d’une Russie tsariste déclinante, sur laquelle allait bientôt se lever – même si Erlanger et ses librettistes l’ignoraient, en 1911 – une mémorable « aube rouge » !

Ella Marchment ne résiste pas à la tentation d’une transposition plus proche de notre époque, et on ne peut lui en faire grief, tant cela donne un sens plus évident encore à l’opéra. On regrette, en revanche, le caractère par trop rudimentaire des décors signés par Holly Piggott – essentiellement constitués de deux demi-escaliers métalliques, dont seul l’agencement varie au fil des actes.

On n’est pas convaincu, non plus, qu’il était indispensable de conserver les ballets du début du IV, et encore moins de les faire danser par des espèces d’épouvantails en fagots de paille. Surtout, la réalisatrice britannique peine à donner de l’épaisseur aux personnages, même si la scène finale – l’attentat réussi dans lequel périra Serge – laisse au public un sentiment d’apogée, avec un ciel se colorant forcément de rouge.

Présent seulement pour la première, le 25 octobre, Guillaume Tourniaire a, ensuite, laissé les commandes de l’orchestre du Festival à Christophe Manien, surtout connu comme coach vocal. Le jeune Français s’en empare avec beaucoup d’élégance, fort d’une réelle capacité à respecter la spécificité des différents idiomes qui composent le vocabulaire musical de l’œuvre, mais aussi avec ce qu’il faut de sens dramatique.

La distribution se révèle globalement excellente, dominée par l’Olga, puissante et généreuse, de la soprano franco-roumaine Andreea Soare. Et l’on retrouve, avec plaisir, dans le rôle de Kouraguine, Giorgi Manoshvili – on avait repéré la basse géorgienne ici même, l’an dernier, dans La Tempesta d’Halévy.

NICOLAS BLANMONT

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