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Des Noces de Figaro virtuoses, mais sans profondeur à Berlin

07/05/2024
Tommaso Barea (Figaro) et Penny Sofroniadou (Susanna). © Monika Rittershaus

Schillertheater, 27 avril

Kirill Serebrennikov signe, avec Le nozze di Figaro, le deuxième volet de sa « trilogie Mozart/Da Ponte », montée au Komische Oper. Dans sa mise en scène de Cosi fan tutte, créée à Zurich, en 2018, et présentée à Berlin, l’année dernière, se superposaient deux espaces opposés : en haut, l’univers masculin ; en bas, le féminin.

Pour Le nozze di Figaro, ce concept de « split screen » superpose, cette fois, la partie supérieure, luxueuse, lumineuse et ordonnée – l’intérieur des Almaviva –, à celle, inférieure, sombre et misérable, réservée au personnel, et bientôt promue « chambre à coucher » de Susanna et Figaro. Dès l’Ouverture, les nombreuses machines à laver qui s’y trouvent se mettent en marche, surveillées par une vieille femme. Au-dessus, les domestiques s’affairent, sous la direction de Marcellina, gouvernante en chef.

Ce dispositif rend palpable la différence – voire la lutte ? – des classes, tout en permettant au spectateur de suivre plusieurs actions à la fois. D’autant que s’ajoute une foule de figurants, dont deux jouent un rôle primordial.

Cherubino, d’abord, serviteur sourd-muet, plein de sève, amoureux de toutes les jeunes femmes du lieu… sauf, précisément, de la domestique – Cherubina ! –, qui en pince pour lui et lui sert d’interprète. Cette surprenante scission du rôle du page, entre une chanteuse – Susan Zarrabi, au mezzo homogène – et un acteur – Georgy Kudrenko –, nous vaut, sans doute, les moments les plus poétiques et réussis de la soirée, quand l’une se met à chanter, fort bien, « Non so più », tandis que l’autre mime son discours à Susanna, en langue des signes, voire en une gestuelle plus que suggestive.

Autre figure silencieuse omniprésente, le sbire du Comte, homme à tout faire zélé : le formidable acrobate Nikita Kukushkin, dont les contorsions virtuoses finissent, malgré tout, par lasser.

Cette mise en scène, menée tambour battant, avec une indéniable virtuosité dans la direction d’acteurs, a, néanmoins, plusieurs défauts, à commencer par la dispersion de l’attention. Par ailleurs, la profondeur psychologique induite par le livret, et plus encore par la musique, n’intéresse manifestement pas Kirill Serebrennikov, ce qui nous vaut des personnages mal définis.

Plus grave encore, le cinéaste russe dynamite l’implacable rythme de la comédie, en rajoutant des pauses, voire des éléments extérieurs. Ainsi, au finale, l’attaque de « Contessa, perdono », l’un des moments théâtraux les plus stupéfiants de l’histoire de l’opéra, est ruiné par l’ajout d’un extrait – interminable ! – du quatuor Les Dissonances, censé accompagner le tourbillon des pensées du Comte.

Parmi tous ces aménagements et rajouts, dont l’arbitraire semble avoir été la règle, le plus étrange reste le terzetto de Cosi fan tutte, « Soave sia il vento », inséré au début du III, et chanté par Susanna, la Comtesse et le Comte, comme le rêve d’un plan à trois… Ajoutons quelques facilités, comme l’omniprésence des SMS, pour des rires garantis !

Directeur musical de la maison, le chef américain James Gaffigan ne peut que valider ces choix dramaturgiques radicaux, imprimant, de plus, à la partition une raideur et une absence de poésie rédhibitoires, sans parler de maints décalages entre la fosse et le plateau.

La distribution, sans éclat particulier, est globalement solide. Néanmoins, si Hubert Zapior prête son baryton aisé à un Comte cassant à souhait, la Comtesse de Nadja Mchantaf est le gros point faible de la soirée, soprano petit et ingrat, avec des problèmes de souffle et d’aigu.

Plus satisfaisant est le couple de serviteurs, campé par le vigoureux Figaro de Tommaso Barea, sans excès de subtilité, et la vive Susanna de Penny Sofroniadou, bonne voix, mais en panne de poésie dans « Deh, vieni, non tardar ».

L’excellente Karolina Gumos confère un relief inhabituel à Marcellina, d’autant qu’on lui a laissé son air, tout comme à Johannes Dunz, percutant Basilio, alors que le Bartolo de Tijl Faveyts paraît plus à la peine.

Nous attendons, maintenant, la saison prochaine, Don Giovanni, avec le sopraniste brésilien Bruno de Sa, annoncé en… Donna Elvira !

THIERRY GUYENNE

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