Ce sera l’unique réunion de superstars de l’art lyrique en France, cet été. Le 1er août, en soirée, France 5 diffusera le concert filmé sans public, quelques jours plus tôt, au Théâtre Antique, pour lequel Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, s’est assuré le concours de Cecilia Bartoli, Karine Deshayes, Aleksandra Kurzak, Roberto Alagna, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier ! Accompagnés au piano par l’excellent David Zobel, ces six vedettes seront rejointes par deux espoirs de la jeune génération française, lauréats du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand, en 2019 : la soprano Solen Mainguené, native d’Orange, et le ténor Jean Miannay.
Nous publions aujourd’hui notre entretien avec Roberto Alagna. Suivront ceux avec Cecilia Bartoli, Karine Deshayes et Ludovic Tézier.
Quels ont été pour vous les points négatifs, mais aussi positifs, du confinement ?
Pour nous tous, cette période est dure sur le plan économique. Cet arrêt brutal a également soulevé un certain nombre de questions, sur ce qui allait advenir des plus précaires, de notre art et de notre corporation, nous solistes d’opéra. Car depuis la crise de 2008, les difficultés n’ont cessé de s’accentuer. En revanche, j’ai pu profiter de ce temps pour remettre la maison en état et jardiner. Faire la classe chaque jour à ma fille Malèna a été un bon entraînement, puisque je vais me charger de sa scolarité pour le primaire. Je ne pensais pas en être capable, mais je me suis aperçu que j’avais suffisamment de patience. Maintenant que je suis entré dans ce rôle, il me plaît assez !
Alors que le Metropolitan Opera de New York vient d’annoncer qu’il ne rouvrirait pas avant le 31 décembre, vous autorisez-vous à être optimiste pour la reprise ?
Sans doute vaut-il mieux annuler une partie de la saison, que de reprendre avec des coûts susceptibles de mettre en danger l’institution. La direction du Met sait ce qu’elle fait. D’autant plus s’il faut observer les mesures sanitaires. Comment voulez-vous jouer devant des salles à moitié vides ? Mais soyons positifs. La machine va repartir sur les chapeaux de roues. Il n’en faudra pas moins être attentif à ceux que ce démarrage en trombe risque de laisser sur le carreau…
Vous avez prêté votre voix aux revendications de l’association UNiSSON, alors qu’elle était encore balbutiante…
Des amis ténors, Stanislas de Barbeyrac et Sébastien Guèze, m’ont demandé d’en être le porte-parole, mais j’estimais ne pas être la personne idéale, dans la mesure où je ne remplissais pas toutes les conditions. Je m’en suis néanmoins servi pour attirer l’attention sur des problèmes qui existaient déjà avant la crise sanitaire, comme les contrats abusifs, et la manière vraiment exécrable dont sont parfois traités les solistes. Mais cette union entre les artistes fonctionnera-t-elle face aux théâtres qui répondent qu’il peuvent engager quelqu’un d’autre, si nous refusons de signer les contrats tels qu’ils ont été établis ? C’est un peu utopique. Et que voulez-vous que fasse l’État ? Tant mieux s’il peut aider les plus précaires, et soutenir les jeunes ! Mais que va-t-il se passer pour tous les contrats annulés ? Pour l’instant, on ne voit rien venir, surtout que beaucoup utilisent de façon, à mon avis illégale, la clause de force majeure.
Comment avez-vous accueilli la proposition de Jean-Louis Grinda de participer à la « Nuit des Chorégies » ? Orange occupe une place particulière dans votre carrière…
J’ai chanté au Théâtre Antique, pour la première fois, en 1993. Depuis, j’y suis revenu quasiment tous les ans. C’est un lieu que j’adore, malgré les conditions difficiles dans lesquelles nous nous y produisons. En effet, les répétitions se passent toutes sur scène, alors que le théâtre est ouvert aux visites guidées, avec 1 500 à 2 000 personnes installées sur les gradins, qui nous regardent travailler. J’étais ravi à l’idée de revenir cette année, car Samson et Dalila est l’ouvrage que j’ai toujours eu envie de chanter à Orange – et j’avais été très déçu, lorsqu’il avait été remplacé par Il trovatore. La production sera présentée l’an prochain, si tout va bien !
Cet été, vous serez seul sur scène, avec un piano…
Et dans un théâtre vide ! Être accueilli par un silence total, sans même la respiration, le frémissement du public, procure une sensation étrange. Mais se retrouver dans cet espace immense appellera vraiment au recueillement, comme une sorte de prière, de communion avec ces pierres, et les téléspectateurs. Un message spirituel fort devrait émaner de cet événement.
Avez-vous travaillé votre voix pendant le confinement, ou en avez-vous profité pour la laisser reposer ?
Je n’ai jamais passé plus de trois jours sans chanter. De toute ma vie ! Il faut, de temps en temps, c’est vrai, se reposer – après une représentation, ou dans des périodes de répétitions intenses. En ce moment, au contraire, j’ai envie de maintenir la musculature, la tonicité des cordes vocales. Je suis en train de préparer un nouveau disque, et je travaille sur les arrangements. J’ai aussi la chance de pouvoir peaufiner, encore, mon Lohengrin. Je l’ai chanté tous les jours, et commence vraiment à me gargariser de cette musique.
Vivez-vous avec l’angoisse de recevoir un appel de votre agent, ou d’un directeur, pour vous annoncer l’annulation de projets à venir ?
Carmen au Stade de France est un événement important, et le partager avec le plus grand nombre me tient particulièrement à cœur. Mais j’éprouve surtout cette angoisse pour le Lohengrin de décembre, au Staatsoper de Berlin. Après le rendez-vous manqué de Bayreuth, je n’ai vraiment pas envie de rater celui-là !
Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI
© STELLA VITCHÉNIAN