Nous publions aujourd’hui notre entretien avec Cecilia Bartoli. Suivront ceux avec Karine Deshayes et Ludovic Tézier.
Comment avez-vous vécu cette crise sanitaire ?
C’est une période vraiment terrible que nous venons de traverser. Surprenante, aussi. Parce que la pandémie, qui n’a rien, historiquement, d’un phénomène inédit, s’est propagée beaucoup plus vite que les précédentes, du fait de la globalisation. La crise nous a donc tous frappés quasiment en même temps. Et nous n’étions pas prêts pour cela. Comment se fait-il qu’en 2020, avec toute la technologie qui nous entoure, nous nous soyons retrouvés à court de masques dans les hôpitaux ? Cette situation est d’une absurdité qui m’a bouleversée !
Vous avez tenu, pendant cette crise, à garder un lien avec le public, grâce à quelques vidéos diffusées sur les réseaux sociaux…
Partager notre art à travers un écran est certes un peu triste, mais c’est le seul moyen que nous avions pour faire signe aux personnes qui nous suivent. J’ai envoyé quelques petits messages musicaux pour faire de la compagnie, car beaucoup ont souffert, pendant cette pandémie, d’une solitude extrême.
Comment avez-vous réagi aux annulations successives, notamment celle du Festival de Pentecôte (Pfingstfestspiele) de Salzbourg, dont vous êtes la directrice artistique ?
Avant même le Festival de Pentecôte, c’est Le Comte Ory, à l’Opéra de Monte-Carlo, avec l’orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco, qui a été annulé – et finalement repoussé à février 2021. Il était difficile d’imaginer que la situation resterait bloquée aussi longtemps… J’ai été choquée, comme tout le monde. Mais il faut penser à l’avenir. J’ai vraiment de la peine pour les jeunes artistes, qui auront de grandes difficultés à tenir le coup.
Êtes-vous néanmoins optimiste pour la reprise ?
La santé passe avant tout, et nous devons tout faire pour éviter une seconde vague ! Mais toutes les formes d’art ont, elles aussi, un rôle à jouer dans notre santé. À présent que la situation est en train de se stabiliser, il faut prendre, non pas le risque, mais le courage de recommencer, et de retourner doucement au théâtre. C’est nécessaire pour tout le monde.
Avez-vous continué à travailler votre voix, comme en temps normal ?
Ne pas chanter pendant aussi longtemps ne m’était jamais arrivé ! Après le premier mois de confinement, je me suis remise à faire des vocalises, à apprendre du répertoire, notamment baroque, ainsi que des rôles d’« opere serie » de Rossini. Le seul point positif est que j’ai eu plus de temps pour faire de la recherche. Une pause – presque une année sabbatique, en l’occurrence – est bénéfique quand elle relève d’une décision individuelle, non quand elle est forcée.
Comment avez-vous accueilli l’invitation de Jean-Louis Grinda pour cette « Nuit des Chorégies » un peu particulière, avec chaque artiste seul sur l’immense plateau du Théâtre Antique vide ?
Je n’ai encore jamais chanté à Orange, mais le Théâtre Antique est un lieu magique, mythique. Pour moi, qui suis romaine, cette soirée devrait être une expérience inoubliable !
Pensez-vous que cette crise du Covid-19 fasse évoluer le milieu de l’art lyrique ?
J’ai peur de la crise économique qu’elle va entraîner. Dans la mesure où beaucoup de théâtres, et surtout de festivals, sont soutenus par des mécènes, la musique va forcément en subir les conséquences. Mais je veux rester positive : nous allons trouver des solutions, tous ensemble ! Il faut voir la musique comme un rite presque sacré, dont chacun de nous a besoin. Aller au théâtre nous permet de laisser le malheur à l’extérieur.
Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI
© DECCA/ULI WEBER