Comptes rendus Norma hors norme à Bruxelles
Comptes rendus

Norma hors norme à Bruxelles

29/12/2021

La Monnaie, 14 décembre

La Norma de Christophe Coppens est une femme d’aujourd’hui, égérie d’une communauté de marginaux extrémistes et violents, repliée sur elle-même et sur sa révolte, dont l’enfermement se traduit par ces hauts murs de béton, dans lesquels se déroule l’essentiel de l’action. Quand Norma retrouve Pollione, au premier acte, c’est dans un petit café au plafond bas ; et quand elle s’apprête à tuer ses enfants, au second, c’est dans une sorte de train fantomatique qui traverse des paysages abstraits, dont les variations semblent le reflet de sa psyché tourmentée.

À ce décor aux transformations spectaculaires, le metteur en scène belge ajoute de vieilles voitures, tout droit sorties d’une casse : une Coccinelle, dans laquelle semble vivre Pollione ; un coupé qui descend lentement des cintres, pendant « Casta diva » ; le même qui, repêché des dessous dans une version « molle », s’élèvera vers les cintres, comme une sorte d’étrange cétacé mort, symbolisant la défaite de Norma…

Adalgisa et Pollione se rencontrent dans un parking, et le trio du premier acte s’achève avec l’apparition d’une grande compression mobile suspendue, dans laquelle les amants sont embarqués, équivalent de la violence visuelle de leurs échanges. Au final, c’est dans une automobile, bien sûr, que finira brûlé le couple déviant.

À ces personnages ordinaires et plongés dans la grisaille d’un quotidien sans joie (n’était une bataille de boules de neige, au moment du serment d’amitié entre les deux femmes), la direction d’acteurs et les costumes banals donnent une réalité qui nous les rend familiers et proches, d’autant que cette vision résolument contemporaine est servie par une distribution qui s’y intègre avec évidence.

Sally Matthews n’est pas exactement une belcantiste, mais si la cantilène de son air d’entrée laisse une impression mitigée, faute d’un médium plus développé ou d’un plus beau timbre, elle s’engage jusqu’à la limite de ses moyens dans les aspects dramatiques de Norma et en dompte toutes les difficultés, dessinant un portrait d’une grande force de la femme trahie.

Lui répond l’Adalgisa de Raffaella Lupinacci, dont le mezzo clair et fruité, ajouté à un phrasé d’école, apporte au personnage sa juvénilité. Enea Scala possède la largeur et la vaillance des Pollione héroïques, mais laisse toujours entendre une certaine tension dans l’extrême aigu, systématiquement donné en force. À son rôle de patriarche sectaire, Michele Pertusi offre tout le relief voulu, avec une voix à laquelle les années ont apporté un supplément de profondeur, mais où se décèle désormais un rien d’instabilité.

Des chœurs d’une remarquable homogénéité et deux comprimari plus qu’efficients, notamment l’excellent Flavio de Loïc Félix, complètent ce plateau que soutient la direction, tout à la fois tendue dans un grand arc dramatique et d’une belle souplesse, de Sesto Quatrini, à la tête d’un impeccable Orchestre Symphonique de la Monnaie.

La lecture élégante du chef italien intègre la partition sans aucune coupure, reprises et codas comprises. Elle entre totalement en résonance avec cette production hors norme, dont elle exalte la poétique sombre et la violence tragique.

ALFRED CARON

PHOTO © KARL FORSTER

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