Comptes rendus Noces très attendues aux Champs-Élysées
Comptes rendus

Noces très attendues aux Champs-Élysées

29/11/2019

Théâtre des Champs-Élysées, 26 novembre

Cette nouvelle production était attendue pour deux raisons : une qualité musicale qu’on pouvait espérer optimale, au vu des noms du chef, de l’orchestre et de la distribution, d’une part ; de l’autre, la première tentative dans le monde de l’art lyrique du cinéaste James Gray. Parlons d’abord de sa mise en scène.

On doit à James Gray d’avoir ressuscité le film noir américain, en retrouvant ses codes et en les respectant – à lui seul, We Own the Night (La Nuit nous appartient, 2007) est un pur chef-d’œuvre. Pour Le nozze di Figaro, son respect, sa modestie, sont identiques : ne pas solliciter l’ouvrage inutilement, et raconter, le plus efficacement possible, une histoire qui, pour lui, ne peut se dérouler qu’au XVIIIe siècle – comment traiterait-il, en revanche, Cosi fan tutte et Don Giovanni ? On serait curieux de le savoir !

Voici donc une « folle journée » rondement menée, dont l’action file à grande vitesse, mais avec suffisamment de souplesse. Diriger pour l’écran de fortes personnalités (Joaquin Phoenix, Brad Pitt, Mark Wahlberg, Vanessa Redgrave…) est une chose ; mais, de toute évidence, le metteur en scène américain a vite apprivoisé ses chanteurs, formant une véritable équipe capable de caractériser fermement les personnages.

Le Comte est ainsi un vrai méchant, la Comtesse ne s’enferme pas dans sa nostalgie, Figaro ne tient pas en place face à une Susanna fine mouche, Cherubino papillonne avec ardeur… Bref, tout le monde est à sa juste place, y compris le désopilant jardinier Antonio. Personne ne tire la couverture à soi, et c’est tant mieux.

Quelques regrets, malgré tout. D’abord, on s’agite beaucoup sur le plateau, parfois un peu trop même, frôlant presque la caricature (le Comte et ses coups d’épée inutiles, entre autres). La vision de James Gray, ensuite, est franche, droite, vigoureuse, le rideau de scène évoquant les théâtres de tréteaux et la commedia dell’arte ; on est donc là, sans équivoque, dans le domaine de l’« opera buffa » – à des lieues de l’ambiguïté mozartienne. Et le dernier acte, dont les quiproquos sont habilement menés, manque quand même de mystère et de poésie.

Décors et costumes sont en accord parfait avec le classicisme revendiqué du spectacle. Santo Loquasto a imaginé un dispositif dont la convention n’empêche pas l’élégance, et les costumes de Christian Lacroix sont, on s’en doute, colorés, exubérants. Un peu de luxe, dans un univers où le calme n’est pas de mise, mais où l’on cherche en vain la volupté. Cette soirée rappelle que la tradition a encore sa place, sans pour autant être synonyme de routine, et ne gêne en rien des tentatives plus iconoclastes.

La ronde musicale est menée par Jérémie Rhorer, dont les affinités avec ce répertoire sont toujours aussi évidentes. Les tempi sont rapides, mais constamment maintenus, et les récitatifs, soutenus par le pianoforte de Paolo Zanzu, promptement négociés. On perçoit un soupçon de lumière du Sud dans la volubilité d’un discours qui prend, malgré tout, le temps de respirer. Quant à l’ensemble Le Cercle de l’Harmonie, il enchante par sa sonorité, sa transparence et ses vives couleurs. Du théâtre, de la jeunesse : vive Mozart !

Sur les planches, chacun fait corps avec son rôle, y compris le Don Curzio de Rodolphe Briand. On a rarement vu Antonio aussi présent que Matthieu Lécroart. Florie Valiquette est une Barbarina délurée. Le couple Bartolo/Marcellina est impayable : Carlo Lepore, volontairement lourdaud, et Jennifer Larmore, irrésistible, le bagout de l’actrice faisant oublier une certaine âpreté du timbre.

Le Cherubino fébrile d’Eléonore Pancrazi n’est que velours ; et Mathias Vidal, toujours aussi drôle, fait de Basilio un odieux individu (dommage que l’on ait coupé son air, « In quegli anni », de même que celui de Marcellina, « Il capro e la capretta »). Robert Gleadow n’a aucun mal à faire apprécier son Figaro bondissant, vocalement incisif, face à la Susanna plus réfléchie et lucide d’Anna Aglatova, impeccable musicienne.

La Comtesse de Vannina Santoni est toute de finesse et d’élégance, phrasée avec charme, gracieuse sans mièvrerie ; avec un peu plus d’autorité dans les scènes dialoguées, elle comptera parmi les rares sopranos françaises qui auront marqué cet emploi. Saluons, enfin, le Comte idéal de Stéphane Degout. Cet aristocrate tyrannique, voire brutal, chante avec une distinction et une classe qui sont celles du grand mozartien qu’il a toujours été.

Dès la fin du premier acte, le public ne cachait pas son plaisir. Imaginez son enthousiasme au rideau final ! Nul doute qu’à leur tour, les spectateurs de Los Angeles, Nancy, Luxembourg et Lausanne, théâtres coproducteurs, ne ménageront pas leurs applaudissements.

MICHEL PAROUTY

PHOTO © VINCENT PONTET

Représentations les 29 novembre, 1er, 3, 5, 7 et 8 décembre.

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